Business model
Dimitri Granger, directeur général PR & Social media de Publicis Consultants et membre du Syntec RP, examine les bouleversements apportés par la digitalisation et propose des pistes pour s'y adapter.

The New York Times publiait il y a quelques mois un étonnant rapport sur son niveau de digitalisation. Intitulé sobrement «Innovation», ce mémo interne, surprenant par la dureté du diagnostic, pointait l'incapacité du prestigieux journal à réellement s'adapter à la révolution numérique amorcée depuis quinze ans. De l'extérieur, le NYT semble à la recherche permanente de nouvelles idées (à l'image du fameux «Snow Fall», qui a réinventé le documentaire en ligne). De l'intérieur, le rapport souligne les difficultés à renouveler les méthodologies du print, à penser différemment sa façon de capter l'attention de lecteurs et à jouer sur le terrain du social media. Le rapport stigmatise aussi l'incrédulité d'un management face à une concurrence aux multiples facettes avec des pure players qui inventent leurs propres règles du jeu.

 

Frottement global

 

A l'instar du NYT, les questions posées aux médias par le paradigme numérique sont des sujets que nous rencontrons de plus en plus dans notre pratique quotidienne. La culture numérique est une culture de la déconstruction, de la simplification, avec des codes différents, moins statutaires, qui se frotte à un mode de pensée vertical, pyramidal et hiérarchique. Ce «frottement», on le retrouve partout, et notamment dans nos organisations conçues avec des codes et des méthodes datés de l'ère industrielle. C'est aussi une culture du «fail fast», de la prise de risques, nerf de la guerre de l'innovation. Cet état d'esprit de «barbares», pour reprendre un terme à la mode, correspond aussi à une époque, à l'état d'esprit d'une génération qui voit dans la technologie une matière première aux potentialités infinies.

 

Pour de nombreux titres de presse, la concurrence a pris une forme mutante avec des nouveaux entrants aussi créatifs qu'agressifs. Plusieurs patrons de presse doivent se gratter la tête devant l'arrivée d'un Vice News ou la croissance bluffante d'un groupe tel que Konbini, positionné sur la pop culture, véritable hybride mêlant à la fois plateforme média (5 millions de visiteurs uniques par mois!) et agence-conseil et créative.

 

Balkanisation de l'attention

 

Le marché des agences est lui aussi en train de bouger, à l'image de ce deal passé récemment aux Etats-Unis entre Leo Burnett et The Huffington Post, avec des frontières de plus en plus floues. L'innovation et l'agilité seront les deux critères essentiels pour survivre à l'ère de l'«evolutionary edge».

 

Médias comme agences sommes confrontés à une problématique de fond dans un métier qui consistait, depuis l'origine, à parler à des audiences: une balkanisation extrême de l'attention sous l'effet du règne du «newsfeed roi». Créer de l'engagement autour d'une idée, d'une histoire ou d'un article n'a jamais été aussi simple (par les mécanismes de viralité) et complexe à la fois, vu l'incroyable inflation de contenus que nous vivons. On observe déjà les limites et les contraintes du «marketing du contenu» pour une immense majorité des marques.

 

Mixer technologie, data, stratégie et exécution créative, et maîtriser une économie de la diffusion sur les réseaux constituent la recette idéale pour créer de l'engagement autour d'une marque. Mais cela nécessite un décloisonnement des méthodes de travail qui corsètent encore trop notre quotidien. On le sait, de nouveaux métiers ne cessent de bousculer l'ordre établi, avec des compétences qui sont souvent entre les mains des moins de trente ans.
Le rapport du NYT expliquait en effet à quel point cet aspect est encore largement sous-estimé par le management, souvent aveuglé par l'attrait des grandes «signatures».

 

Talents hybrides

 

De façon symétrique, le talent de ses collaborateurs est le principal actif des agences. Des talents hybrides, touche-à-tout, experts et généralistes à la fois. Des codeurs et des décodeurs de l'actualité, capables de travailler avec des start-up et des groupes du CAC 40.
L'attractivité de nos modèles managériaux et l'évolution des carrières sont clés pour une génération «native» qui n'a plus le même rapport à l'entreprise et au travail. Les agences capables d'offrir des dynamiques intra-entrepreunariales auront la préférence de ces fameux «talents», qui vont changer le visage de nos organisations beaucoup plus vite qu'on ne le croit.

 

«Ce n'est pas le plus fort de l'espèce qui survit ni le plus intelligent. C'est celui qui sait le mieux s'adapter au changement», nous expliquait Charles Darwin. Ne nous faisons pas d'illusion, le modèle des agences est et va être autant questionné et remis en cause que celui des médias. C'est une bonne nouvelle car le champ des possibles est infini. A nous de tirer les enseignements et d'inventer nos propres modèles.

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