En enjoignant X de communiquer aux éditeurs de presse les informations permettant de calculer la rémunération qui leur est due au nom des droits voisins, le juge des référés a créé la surprise.

Par deux ordonnances de référé rendues le 23 mai dernier, l’Agence France-Presse et plusieurs éditeurs de presse dont Le Figaro, Le Monde, Courrier international et Le HuffPost ont obtenu que X (ancien Twitter) soit contraint de leur communiquer les informations permettant de calculer la rémunération qui leur est due en contrepartie de l’exploitation de leurs publications de presse sur le réseau social.

Les éditeurs de presse et l’AFP se sont fondés sur les droits voisins, lesquels permettent à ces derniers qui ont investi dans la production de ces contenus d’obtenir une rémunération en contrepartie des exploitations en ligne des publications. Cette rémunération est généralement fonction des recettes de l'exploitation et tient notamment compte des investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse.

C’est le Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les services de communication au public en ligne, dont les réseaux sociaux, sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et agences de presse tous les éléments d'information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers, ainsi que tout autre élément d'information nécessaire à une évaluation transparente de la rémunération en question.

Maintenant les fondamentaux juridiques exposés, il est intéressant de soulever le caractère rare de la décision du juge des référés. En effet, le litige opposant X aux éditeurs de presse et à l’AFP est particulièrement intéressant et, ce, à deux titres. D’abord, parce que X s'est toujours opposé à l'application des droits voisins des éditeurs et agences de presse ; ensuite, parce que c’est la première fois que le juge, en application de la législation applicable en la matière, enjoint que soient communiqués tous les éléments permettant d’évaluer le montant de la rémunération demandée.

Le secret des affaires invoqué par X

X s’était évidemment vivement opposé aux demandes des éditeurs de presse et de l’AFP en invoquant un certain nombre d’arguments techniques et en soulevant le secret des affaires. 

Si l’on ne s’émeut plus de la réticence de X à rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation des contenus qu’ils produisent, le juge, lui, a très clairement créé la surprise en considérant que X était contraint de communiquer une série d’éléments dont la précision et le détail sont rares.

En effet, le juge a enjoint X de communiquer le nombre d'impressions et le taux de clics sur impression des publications, à savoir les textes, photos et vidéos intégrées, par mois, depuis le 24 octobre 2019, ainsi que la part estimée des requêtes en lien avec des publications, les revenus publicitaires générés sur Twitter puis X associés aux impressions, une description du fonctionnement des algorithmes de Twitter/X qui conduisent à afficher en France les publications définies à l'article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant.

Par ailleurs, et, ici, la décision du juge semble moins surprenante, ce dernier n’a pas retenu le secret des affaires comme étant un motif permettant à X de s’opposer à la communication des éléments demandés par les demandeurs. En effet, le juge des référés a considéré que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et ce, d’autant que X ne précise pas que les conditions de protection au titre du secret des affaires seraient réunies.

Signal clair aux géants du numérique

Si plusieurs acteurs se sont engagés dans des accords avec les éditeurs de presse, il est intéressant de relever que l'Autorité de la concurrence a également sanctionné Google pour la quatrième fois en mars 2024, à hauteur de 250 millions d'euros, pour le non-respect de plusieurs des engagements pris en 2022 vis-à-vis des éditeurs et agences de presse.

Même si le juge fait ici une application stricte du droit, il n’en demeure pas moins que cette décision n’est pas sans retentissement en matière de droits voisins. En effet, il semble assez évident que, dans le droit fil de ce que l’Autorité de la concurrence avait fait jusque-là, le juge judiciaire entend bien envoyer un signal assez clair aux géants du numérique qui auront désormais de plus en plus de difficultés à contourner le droit des éditeurs de presse à être rémunérés.

Le juge n’a d’ailleurs pas hésité à rappeler dans sa décision que « la directive rappelle qu'une presse libre et pluraliste est indispensable pour garantir un journalisme de qualité et l'accès des citoyens à l'information, alors qu'elle apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique ».

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