Tribune

Vendre un produit en se moquant explicitement de ce dernier ? L’idée est a priori farfelue : pour vous convaincre d’acheter quelque chose, il faut déjà vous persuader que ledit quelque chose puisse vous être d’une quelconque utilité. Ou que ses qualités intrinsèques compensent largement son inutilité relative (dans le cas du luxe, par exemple). Telle est la fonction première de la réclame. Déambulez dans les allées d’un marché : vous entendrez toujours que le poisson est frais et que la troisième barquette de fraises est gratuite. Simple, direct, pas de place pour le second degré. 

Sauf qu’avec le temps, les stratégies de promotion ont été contraintes d’évoluer et de s’affiner. Pourquoi ? Parce que le public, à force d’être soumis à des messages publicitaires toujours plus nombreux, finit par développer une forme d’immunité contre ces derniers. Progressivement, nous nous mithridatisons contre la publicité. Il faut donc trouver des moyens détournés de nous pousser à l’acte d’achat, car plus personne ne croit à l’existence du produit miracle – élixir de vigueur, lessive qui lave plus blanc ou voiture qui fera de vous un homme, un vrai – qu’on nous vantait autrefois. 

Dédramatiser l’art de la réclame 

Cela fait bien longtemps que les publicitaires ont ajouté la corde de l’humour à leur arc. L’humour signale que l’émetteur du message publicitaire est capable de faire preuve d’un certain recul critique vis-à-vis de lui-même. Au passage, il installe, entre la marque et le lecteur ou spectateur, une forme de complicité. Personne n’est vraiment dupe, et c’est justement pour cela que ça fonctionne.  

Ces derniers temps cependant, on dirait bien qu’un nouveau palier ait été franchi : il ne s’agit plus seulement de faire un pas de côté ou de manier le second degré de manière plus ou moins heureuse. Non, on rencontre, aujourd’hui, des campagnes de publicité qui se moquent effrontément du produit qu’elles mettent en avant. En plein confinement, la start-up Swile exhibait fièrement sa « carte la plus inutile du moment » (et pour cause : la carte en question permettait de payer dans les commerces, les restaurants, les cinémas…). Autre campagne dans l’air du temps : les publicités pour la Citroën Ami, qui feignent de s’étonner que l’équipe de designers derrière l’étrange véhicule n’ait pas encore été licenciée, ou nous suggèrent que s’il est possible d’en faire l’acquisition chez Darty, c’est parce que la voiture ressemble franchement à un grille-pain.  

Connivence ou conviction, telle est la question 

Deux campagnes à vrai dire plutôt réussies, mais surtout, révélatrices du contexte communicationnel actuel. Entre instaurer une connivence avec le consommateur potentiel et vanter les qualités du produit, les publicitaires ont dû trancher. Et c’est là l’enseignement singulier de ces campagnes : il est bien possible qu’en effet, il faille, de manière croissante, faire un choix, qu’on imagine cornélien pour les marques. La complicité du consommateur est à ce prix.  

Que s’est-il passé pour que nous en arrivions là ? Il y a bien sûr le phénomène de mithridatisation évoqué plus haut, mais l’explication ne suffit sans doute pas. Comme le pointe Alexandra Profizi dans son livre Le temps de l’ironie, comment Internet a réinventé l’authenticité (éditions de l’Aube, 2021), l’ironie et le second degré sont devenus notre mode par défaut avec l’avènement des réseaux sociaux. Mais à quel prix ? Jusqu’où jouer la carte de l’authenticité ? « Credibile est quia ineptum est », il faut y croire puisque c’est absurde, écrivait Tertullien. Version actualisée : Il faut acheter puisque c’est inutile. L’autodérision comme stratégie de promotion, à long terme, pourrait bien se révéler une impasse.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :