Chronique

« Quand nous remportons un Golden Globe, cela nous aide à vendre plus de chaussures. » Que diront Amazon et son fondateur Jeff Bezos des prouesses de Kylian Mbappé ? Que vont-ils nous vendre et qu’allons-nous leur acheter à chaque but du prodige de l’équipe de France de football ? Cela fait des années que je chronique le logiciel qui mange le monde comme une équipe les quartiers d’orange à la mi-temps. J’espère, dans le commentaire de ces matchs, vous éviter les évidences et les élucubrations, dribbler entre vigilance et optimisme, couvrir les grandes affiches comme les plus inattendues, reconnaître les champions, sans complaisance. Et c’est un comble d’assister à une compétition qui vous concerne et vous laisse pourtant spectateur, incapable de choisir votre équipe. Rendez-vous compte que nous serons passés en quelques années de la ligue 1 Conforama sur Canal+ à la ligue 1 Uber Eats sur Amazon. Quel symbole. 

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Entré par la petite porte (d’Auteuil) à Roland-Garros, fief de la télévision publique depuis toujours, le leader de l'e-commerce et du cloud nous a proposé des matchs le soir et sur les courts annexes dans une expérience à la hauteur de son obsession pour satisfaire ses clients : une image ahurissante de qualité et des données, des données, des données. Comme quand vous regardez un film sur Prime, que vous appuyez sur pause et qu’IMDb vous affiche le nom de tous les acteurs à l’écran. IMDb, cette acquisition d’Amazon en 1998, quand il n’était encore qu’une « librairie sur internet » qui perdait tant d’argent et qui allait forcément se planter. Le tournoi de tennis a été une grande réussite en 2021, malgré le couac avec Naomi Osaka – une opposition d'anciens vs nouveaux médias sur fond de débat sur la santé mentale, cette fois, match dans le match, gagnée par les médias traditionnels. 

Un échauffement idéal ? La semaine dernière, Amazon a gagné le lot principal de diffusion du championnat de France de football. Le sport est depuis longtemps un support de publicité. Il est devenu avec les « chaînes payantes » suivies par les fournisseurs d’accès et leur « triple play » un hameçon à abonnement. Avec Amazon, une nouvelle ère débute. On le prédisait, certains en rêvaient, les voici, la plateformisation totale et un abonnement pour les gouverner tous. 

Mieux et moins cher

Je suis incapable de dire si je dois nous plaindre ou vous inviter à nous réjouir. Je subis sans doute le syndrome de Seattle, qui vaut l’ambivalence de celui de Stockholm. Ma part consommateur me dit que j’ai hâte de voir un championnat diffusé par Amazon, fort de sa réussite à Roland-Garros et de plusieurs matchs de football américain. Pour bien moins cher – 49 euros par an – que ce que les précédents attributaires nous avaient proposé jusqu’ici. Mieux et moins cher, on retrouve la patte Amazon et cela va être passionnant de voir l’offre de cette entreprise qui réussit tout grâce aux méthodes mises en place par l’homme le plus riche du monde, le même qui s’apprête à partir pour l’espace. Une diffusion avec une captation en direct sur au moins huit sites en parallèle n’a rien d’une sinécure. Comme Canal+ avait révolutionné le traitement des images, les plans, les angles, les ralentis et les infographies, nous nous apprêtons à vivre des ruptures de la même magnitude. Bien sûr que j’ai hâte de voir ça. 

Mais au moment où TF1 fusionne avec M6 sans même y trouver la force ou la témérité de répondre au cahier des charges de la ligue de football professionnelle, on peut regretter de devoir espérer d’Amazon. D’ailleurs Canal+, qui croyait le match plié avec BeIn, l’a mauvaise. Il refuse les deux matchs, a priori les meilleurs, que la ligue lui avait pourtant réservés dans ce nouvel accord. Mauvais joueur ? Mais qu’est-ce qui nous dit qu’Amazon sera un bon gagnant et quels déséquilibres et inégalités subirons-nous quand à tous les coups et tous les sports il gagne ? 

Être le roi du commerce, c’est savoir bien acheter avant de bien vendre. Amazon, qui vient de s’engager à payer 10 milliards de dollars à la NFL pour dix saisons de football américain et de racheter la MGM pour 8,45 milliards de dollars, sait ce qu’il fait. Les clubs de football français toucheront la moitié de ce que Mediapro leur avait fait miroiter… pas beaucoup plus que ce qu’a tenté d’arracher Canal+ en se croyant en position de force. Le juste prix sans doute. Pourvu que Kylian Mbappé reste en France la saison prochaine pour que le syndrome de Seattle soit complet… La campagne existe déjà : « Alexa, mets le match ».

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