Tribune
Trop souvent, les médias réduisent le métier d'influenceur aux seules vedettes de la télé-réalité. Beaucoup d'influenceurs n'en font pas une activité à plein temps et leur relation aux marques est bien plus réfléchie que ce que certains voudraient le faire penser.

Depuis plusieurs années, les influenceurs fascinent, et l’on assiste ces derniers temps à une dérive dangereuse de leur image entre strass, paillettes et dropshipping. Depuis trop longtemps, lorsque les médias parlent des influenceurs, ils privilégient les portraits de vedettes de la télé-réalité, invités au sein d’émissions de divertissement, ou encore faisant l’objet de reportages sur leur vie extraordinaire. Tout récemment encore, C8 illustrait parfaitement ce phénomène à travers une enquête «inédite» au titre évocateur, «Influenceurs : Une vie de rêves à Dubaï», dévoilant leur train de vie démesuré à l’étranger. Entre argent et vie facile, il n’est pas étonnant de constater que de nombreux jeunes y voient une vocation. On oublie de leur rappeler que ces personnalités issues de la télé-réalité représentent à peine 1% de l’ensemble des influenceurs. Ceux-là, bien moins connus, sont pourtant bien plus représentatifs de l’influence.

La France compte environ 150 000 influenceurs. Ce sont avant tout des passionnés qui fédèrent une communauté autour d’un sujet qui les anime et à travers des contenus originaux et créatifs. On les appelle d’ailleurs de plus en plus des «créateurs de contenus».

De leur côté, les personnalités issues de la télé-réalité acquièrent une communauté sur les réseaux sociaux du fait de leur exposition médiatique, et partagent ensuite des extraits de leur vie mise en scène, plus que des contenus qui répondent à une volonté créatrice et fédératrice. Ces profils sont moins de 500 en France. Et contrairement à ce que l’on croit, moins d’une cinquantaine d’entre eux vivent à Dubaï. Pourtant, certains médias s’attachent à les ériger en porte-drapeau des influenceurs, alimentant ainsi les fantasmes du grand public autour de leur activité, leur style de vie, leur rémunération. Et alors qu’ils ne voient qu’un seul profil de ces influenceurs, et pas le plus représentatif, les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir en faire leur métier.

Ne pas mettre tous les influenceurs dans le même panier

En réalité, l’influence est une activité à temps plein pour seulement 15% des créateurs. 61% d’entre eux ont une activité professionnelle en plus de leur activité sur les réseaux sociaux et la moyenne de leur audience est de 50 000 followers. Vous ne les connaissez pas forcément ou ne suivez que ceux dont l’univers ou la passion vous intéresse, car ça vous inspire, qu’il s’agisse de mode, de tourisme, de bricolage, d’entrepreneuriat... Quand on parle d’influence, c’est bien à ces profils que les médias devraient s’intéresser.

N’allez pas croire que les «vrais» influenceurs sont des panneaux publicitaires, loin de là. Trois créateurs sur quatre disent déjà avoir refusé un partenariat avec une marque, notamment parce qu’ils n’aimaient pas le produit ou n’étaient pas en phase avec les valeurs de la marque. Et la nature de leur collaboration avec les marques dépend énormément de ce qui leur correspond et de ce qui va plaire à leur communauté à qui ils sont fidèles et qu’ils n’ont pas envie de décevoir. Ils peuvent tout aussi bien parler d’un produit ou d’un service que partager un code promo, assister à des évènements, sélectionner ou co-construire des produits avec les marques, comme ils peuvent créer du contenu pour elles, en marque blanche. En plus de leur audience, c’est leur univers qui plaît aux marques.

Le dropshipping, une pratique malhonnête

Leur rémunération est fantasmée. Bien sûr, certains créateurs bien connus vivent de leur activité, mais cela ne s’est pas fait par magie, ils ont travaillé dur pour émerger et pouvoir faire de cette activité leur métier. C’est le cas de profils comme Noholita ou Léna Situations, bien connues du grand public. Il ne faut pas sous-estimer le temps consacré à produire, monter, et partager des contenus qui vont fédérer, ni le nombre de personnes qui peuvent intervenir pour soutenir leurs projets : assistants, photographes, monteurs, graphistes. Quand une rémunération est importante, ce n’est pas uniquement du fait de la taille de la communauté, mais aussi du temps passé. Et donc, si on regarde la rémunération à l’heure de travail, pour beaucoup de créateurs, elle se place plutôt dans la fourchette basse des métiers créatifs.

On a parfois l'impression que les célébrités de la télé-réalité enchaînent les collaborations avec les marques et sont sur-sollicitées par celles-ci alors que beaucoup pratiquent le dropshipping : ils font la promotion de produits sourcés en Chine, qu’ils revendent (en multipliant le prix) à leur communauté. Il s’agit là d’une pratique malhonnête, qui ne respecte aucune des règles de l’influence marketing, et qui est d’ailleurs dénoncée par la majorité des créateurs de contenus. Quant aux marques, elles ne jouent pas toutes le jeu. Méconnaissance de cette pratique ou opportunisme, certaines sont très peu sélectives sur les influenceurs avec qui elles collaborent, capitalisant sur leurs audiences plutôt que sur une stratégie créative.

Les médias devraient s'interroger sur les audiences de ces vedettes de la télé-réalité qu’ils qualifient d’influenceurs : qui sont leurs followers et surtout, pourquoi suivent-ils ces gens ? On peut se demander s’ils ne sont pas suivis par FOMO (fear of missing out) ou la peur de rater quelque chose. Est-ce qu’il n’y a pas une sorte de simple curiosité à suivre ces profils qui mettent en scène leur vie plus que des contenus à forte valeur ajoutée ? En jetant un œil aux commentaires sous les posts de ces personnalités, on se rend vite compte que l’intention d’une partie de leur audience est discutable. Alors, peut-on vraiment juger de l’influence d’un profil sur la seule taille de sa communauté ?

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