[Cet article a été initalement publié en juin 2017, après la première expédition de Thomas Pesquet]
Quand l’exploration astrophysique se mêle aux questionnements métaphysiques… On le savait depuis 2001, L'Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick : dans l’espace, on s’entend – plus que nulle part ailleurs – penser. Quelques jours avant son retour, prévu le 2 juin, l’astronaute français Thomas Pesquet se livrait, dans la vidéo «New Eyes» postée le 28 mai 2017, à de bien humaines interrogations : «Chaque matin, je me réveille, je me demande ce que je vais faire, mais aussi qui je suis et ce que je vais devenir. (…) Qui suis-je? Quelqu'un dans l'espace? Un astronaute français? Non. Je suis un homme.»
La Terre est bleue comme une orange ? Dans le film de deux minutes, Thomas Pesquet joue avec des agrumes en apesanteur, aux côtés de ses coturnes de la Station spatiale internationale (ISS), l’Américaine Peggy Whitson et le Russe Oleg Novitski. Images en ultra-haute définition et musique lyrique, la vidéo se clôt sur une citation de Proust en forme de «baseline»: «Le seul véritable voyage (…), ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais (…) de voir l’univers avec les yeux d’un autre.» Pour un peu, on se croirait devant un film à gros budget d’équipementier sportif, un spot à grand spectacle d’opérateur télécoms. «La vidéo se présente comme un manifeste de marque, estime Justine Cavanié, planneuse stratégique chez La Chose. Elle conclut à merveille sa mission de six mois… ainsi que sa démarche de branding [stratégie de marque]!»
Tous les attributs d'une marque
Quasi-inconnu il y a un an, Thomas Pesquet foulera les steppes du Kazakhstan en pleine Pesquet-mania. Météorique: après deux cents jours dans l’espace, le nom de l’astronaute est devenu, selon les experts, ni plus ni moins… qu’une marque. «Il en possède en tout cas la notoriété, résume Quentin Bordage, fondateur et PDG de Brand Celebrities. Toutes les personnalités deviennent des marques, et Thomas Pesquet est manifestement devenu une personnalité de premier plan: sur Facebook, avec 1,3 million d’abonnés, il se situe juste derrière des Zidane et Jenifer…» Mazette! Tout ça en six mois. Une ascension à Mach 10 qui en rappelle une autre, plus politique celle-là, selon Quentin Bordage, qui n’hésite pas à qualifier l’astronaute de «Macron de l’espace»: «Comme Emmanuel Macron, il est jeune, son explosion médiatique est fulgurante, il peut se prévaloir d’un parcours exemplaire, il reste accessible au grand public, surtout via les réseaux sociaux, tout en apportant un renouveau dans l’univers spatial très fermé et élitiste.»
Parallèle politique mis à part, l’image de Thomas Pesquet engendrerait en tout cas, selon Justine Cavanié, «de l’engagement, à l’instar des marques actuelles: lorsqu’il emporte dans ses bagages les alliances d’un couple d’amis qui se marient cet été, il crée de l’émotion. Il est à la fois exceptionnel et familier».
D’une marque, selon Guillaume Martin, directeur adjoint du planning de BETC, Thomas Pesquet possède décidément tous les attributs: «Comme une marque, il a créé son mythe fondateur: il raconte qu’enfant, il construisait des vaisseaux en carton, par exemple. Comme une marque, il a une mission: la recherche scientifique. Comme une marque, il a une ambition: commander la première mission sur Mars en 2025-2030.»
Et comme une marque, Thomas Pesquet communique. Énormémement : 553 000 followers sur Twitter, 378 000 sur Instagram, plus de 1,3 million sur Facebook. On a beaucoup glosé sur l’omniprésence de Pesquet sur les réseaux sociaux. À tel point que le site satirique Le Gorafi s’en est gaussé, dans un article titré «Après un selfie ayant mal tourné, Thomas Pesquet à la dérive à 5km de la Station spatiale internationale». À l’Agence spatiale européenne (ESA), on se moque bien de ces – gentilles – railleries. Car les réseaux sociaux sont le cœur du réacteur d’une stratégie pensée depuis 2013, explique Jules Grandsire, responsable de la communication du Centre européen des astronautes de l’ESA.
Et l’aisance de Thomas Pesquet n’a été pour rien dans son recrutement : «Thomas est l’un de ceux qui ont le plus de naturel à utiliser ces médias-là, mais pas seulement. Il aime aussi expliquer les choses… Aujourd’hui, on se doit de faire partager la vie de l’astronaute au quotidien, que ce soient les vues de la terre photographiées par Thomas ou les tests scientifiques, le plus rapidement possible et le plus largement possible.»
Afflux de partenariats
En février 2017, M le magazine du Monde publiait un article titré «Thomas Pesquet : la tête de gondole de l’espace». Car, avant tout, il s’agit pour l’ESA de justifier la mission Proxima, au coût… astronomique : l’ISS est l’objet le plus cher jamais réalisé, 23 000 euros le kilo pour 430 tonnes. «Il s’agit de valoriser le ROI du vol habité, avec un retour visible pour le citoyen», résume Alain Cirou, directeur du magazine Ciel & Espace. «Ce qui prédomine, c’est la responsabilité pour l’ESA de faire connaître cette mission», confirme Jules Grandsire.
Et pour promouvoir la mission spatiale, le ciel est la limite. Si la communication de Pesquet donne une impression de grande spontanéité, tout est millimétré depuis Cologne, en Allemagne, au siège de l’ESA. «Pesquet peut donner l’impression qu’il a le nez collé sur le hublot, mais il n’en est rien, précise Alain Cirou. Son programme est très rigide: il travaille cinq jours par semaine, le samedi, il fait le ménage dans l’ISS et le dimanche, la journée est libre. Quand il en a le temps, il prend des photographies envoyées à l’ESA, où des community managers les distillent au fil de la semaine. Le travers de cette communication est de donner l’impression que tout est facile. Or, les enjeux sont bien plus importants que de faire des photos à la fenêtre… Pesquet est avant tout ambassadeur de l’espace européen.» Jules Grandsire, de l’ESA, ne dit pas autre chose : «Plus que Thomas, c’est l’espace qui devient une marque vendeuse.»
Mais, ici-bas, certains ont des motivations beaucoup plus terre à terre. La marque Thomas Pesquet n’a pas manqué d’attiser la convoitise des… marques. Les fameuses photos de la Terre vue du ciel prise par l’astronaute, qui seront dans un premier temps publiées dans l’album de Reporters sans frontières à paraître en août (voir encadré) sont l’objet d’une féroce foire d’empoigne entre les plus grands éditeurs parisiens, désireux de sortir un beau livre – façon Yann Arthus-Bertrand puissance mille – au moment du retour de Thomas Pesquet ou bien pour les fêtes, où le livre sera du meilleur effet sous le sapin. La marque Pesquet déchaîne les passions. «Je refuse des demandes pour des rasoirs ou des shampoings tous les jours», avoue Jules Grandsire.
Certaines marques ont pourtant eu accès à Thomas Pesquet. La photo de l’astronaute jonglant avec des macarons Pierre Hermé a marqué les esprits. «L’opération est née d’une rencontre avec le patron d’UPS qui évoquait l’idée d’envoyer un dessert dans la station, raconte Pierre Hermé, joint par Stratégies. Nous avons travaillé sur un macaron de l’espace, qui se conserve pendant le trajet d’un mois, qui ne fasse pas de miettes, qui se mange en une bouchée… Il fallait que le produit soit approuvé par le Cnes, l’ESA et la Nasa, un challenge passionnant.» Thierry Marx, pour sa part, a conçu les menus de l’astronaute, conditionnés par les conserveries Hénaff, et la filière fromagère du Jura a envoyé du Comté dans l’espace. Toutes les collaborations doivent obligatoirement être approuvées par l’ESA. «Mais Pesquet fait la publicité indirectement, remarque Guillaume Martin, de BETC. Il joue au basket avec un ballon Spalding, porte une montre Omega Speedmaster, arbore les logos de Peugeot et de BLK sur son maillot du Stade toulousain, dont il est fan, utilise un appareil Nikon et porte une combinaison Dainese. Ces marques ne se sont pas privées de l’évoquer en RP.»
Au point que certains experts s’interrogent. Pesquet en fait-il trop ? «Tous ces partenariats ne sont pas pertinents, estime Vincent Heidelberg, alias Vicnet, youtuber du spatial. Quand Lagerfeld interviewe Pesquet en duplex, en mai, on ne comprend pas très bien ce rapport entre la mode et l’espace.»
Un tiers de son temps pour les médias
Thomas Pesquet risque-t-il de se transformer en astronaute-sandwich? C’est très peu probable. «L’ESA n’est pas censée faire de deals avec les marques, insiste Jules Grandsire. Nous sommes des fonctionnaires, Thomas n’est pas un footballeur ou un judoka… Tous ses cachets sont reversés à des œuvres de charité.» Nouvelle star de l’espace, Pesquet n’aura pas non plus le temps, à son retour, de se consacrer aux RP. «Quand il arrive, sa mission n’est pas finie, poursuit le responsable de la communication des astronautes européens. Les scientifiques sont friands des tests en période de réadaptation terrestre. Un tiers de son temps, Thomas Pesquet va donner son corps à la science, un autre tiers sera consacré à la rééducation et à la physiothérapie. Il lui restera un tiers pour les médias.»
Mais l'astronaute poursuit-il un rêve de notoriété ? De l'aveu de tous, ce n'est pas vraiment le genre du personnage. «Thomas Pesquet n’est pas intéressé par tout ça. Il reste avant tout un très bon astronaute, qui entend poursuivre sa carrière à l’ESA», estime Vicnet. D’autant que, comme le rappelle Alain Cirou, de Ciel & Espace: «Après son retour, la notoriété d’un astronaute est relativement éphémère et reste bien souvent cantonnée aux frontières d’un pays. Cette starification passe comme un souffle.» Comme une étoile filante ?
Thomas Pesquet, photographe pour RSF
«D’une certaine façon, Thomas Pesquet est le premier reporter dans l’espace», résume Perrine Daubas, rédactrice en chef de l’album 100 photos pour la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Mettant d’habitude à l’honneur les clichés de grands photographes, comme Willy Ronis, Sebastião Salgado ou Robert Doisneau, le prochain, publié en août, montrera ceux de la Terre réalisés par l’astronaute. «Il y a deux mois, nous avons pris contact avec Thomas Pesquet de manière officielle, car personne n’a d’échange direct avec lui. Mais il a rapidement donné son accord», indique Perrine Daubas. Soutenue par un dispositif en affichage et événementiel conçu par BETC, la publication, vendue 9,90 euros, bénéficiera d’une mise en place exceptionnelle: 150 000 exemplaires pour le premier tirage. «Nos diffuseurs nous ont d’ores et déjà demandé le double d’albums par rapport aux autres années», constate Perrine Daubas. L’effet Pesquet…