Personne ne peut contester que les hommes politiques sont aujourd’hui omniprésents dans l’espace médiatique : il n’est pas rare de les entendre à la radio le matin et sur un plateau de télévision le soir, de lire une de leurs interviews dans la presse écrite et d’écouter leurs commentaires lors de déplacements suivis par un long cortège de caméras et de micros, sans compter les tweets ou les déclarations à la sortie de l’Elysée ou de Matignon. La fonction d’un homme politique est certes de parler, de décrire le réel et de donner une vision prospective, mais doit-il intervenir sans arrêt ?
Cette saturation de la parole politique est évidemment corrélée à la multiplication des canaux de communication, qu’il s’agisse de l’augmentation du nombre de chaînes de télévision et notamment des chaînes d’information continue, qu’il s’agisse également des réseaux sociaux et de la réaction quasi immédiate qu’ils réclament. Le résultat est sans appel : les hommes politiques parlent sans cesse et en tous sens. Ils veulent intervenir sur tout, aller au-devant de toutes les objections et contenter toutes les catégories. Leur angoisse est plus de disparaître du radar des médias que de savoir si ce qu’ils ont à dire peut avoir du sens pour les citoyens et la communauté nationale.
Que ressort-il de cette profusion de prises de parole ? Beaucoup de confusion et aucune ligne directrice, ce qui est très dommageable dans l’état d’anxiété et d’incertitude dans lequel se trouve l’opinion publique. En effet, plus les hommes politiques parlent et moins on les entend, plus ils parlent et moins ils sont clairs. Emmanuel Macron regrette la défiance française, la traque incessante de l'erreur. Oui, bien sûr, mais peut-être faut-il s’abstenir parfois de communiquer afin de mieux capter l’attention. La parole politique est en partie vidée de sa substance et de son poids car elle a perdu de sa rareté. Et même lorsqu’un chef d’état ou de gouvernement a une information importante à annoncer, il est frappant de constater que tout ou presque a déjà fuité dans la presse, volontairement ou involontairement, quelques heures ou quelques jours auparavant, ce qui en fait un non-événement. Nous en avons eu récemment quelques exemples flagrants s’agissant de la crise sanitaire.
Le pouvoir politique tétanisé
C’est sans doute un signe des temps, les idéologies ont disparu. Pour gouverner et avancer, on recherche davantage le consensus. C’est aussi le fruit d’un système médiatique qui presse, qui oblige à prendre position, à réagir. Pourtant, à trop vouloir écouter les divers courants d’opinion, à trop vouloir communiquer pour convaincre, les hommes politiques se contraignent eux-mêmes à un va-et-vient argumentatif, le fameux «en même temps», qui laisse malheureusement place à des interprétations très différentes. Dans bien des cas, ils en viennent à tenir un discours plein de paradoxes, qui laisse l’opinion perplexe et laisse très peu de place à l’action. L’hypermnésie liée à l’ère numérique vient d’ailleurs pointer du doigt ces contradictions, comme lors de la campagne présidentielle de 2017, où les déclarations successives de François Fillon sur sa mise en examen furent jugées incohérentes.
Face à la tyrannie des minorités et à un état de droit hypertrophié, le pouvoir politique est privé de sa capacité d’action. Il est tétanisé par la peur d’un procès, il s’auto-censure par crainte qu’un projet de loi ou une décision soit annulée par le conseil d’Etat, le conseil constitutionnel voire la cour de justice européenne. Il reste aux décideurs politiques la parole, le verbe, et s’il veut garder son caractère performatif, ce langage a besoin d’être crédible, sérieux, et donc rare. Dans notre monde de communication, les batailles idéologiques sont d’abord des batailles sémantiques et les mots doivent être soigneusement choisis, car tout sera scruté, décortiqué, décodé, toute pensée sera réduite à une phrase destinée à devenir virale et à alimenter les débats des talk-shows.
Dès lors qu’une figure politique se fait commentateur et ne prend pas le recul nécessaire, il lui devient difficile de développer une vision globale et cohérente. L’agenda émotionnel vient alors dicter l’agenda médiatique et politique. Si les hommes et femmes politiques veulent mettre fin au désamour qui s’est noué entre eux et les citoyens, ils doivent d’abord sortir du diktat de l’instantanéité que véhiculent les réseaux sociaux et l’information en continu. Ils doivent regagner les faveurs du peuple plutôt que de chercher à tout prix celles des médias.