Dans le pire, on ne sait que choisir. Prévisions économiques ? Taux de dépression des jeunes ? Explosion des violences conjugales ? Celles concernant les enfants ? Apocalypse politique ? Souche anglaise ou sud-africaine ? Condition des résidents dans les Ephads ? Fermeture des théâtres, musées, opéras, cinémas ? Le voisin de bus qui met mal son masque ? Économique, social, culturel, individuel, collectif… : on croule sous les chocs.
Certaines marques ont décidé durant cette crise de nous aider au quotidien : Decathlon Coach pour initier aux sports à domicile, Ikea qui révèle sa recette de boulettes ou qui crée un catalogue pour occuper les enfants, Orange qui propose de diffuser des messages pour les grands-parents isolés... D’autres ont mis leur exposition au profit des messages sanitaires : Zara, McDo, Burger King et Google, sous forme souvent de clin d’œil rafraichissant, Yves Delorme, Damart et des centaines d’entreprises françaises qui se sont mobilisées dans la confection de masques, Coca-Cola qui a réalloué ses investissements médias aux personnes mobilisées.
Et puis une dernière catégorie de marques a plongé dans les abîmes d’une empathie scénarisée et déplacée. C'est le cas du film publicitaire d’un distributeur français de haut rang, qui raconte l’histoire d’une famille de Français moyens (comprendre ni trop riches, ni trop pauvres) dans laquelle le père attrape la Covid, est hospitalisé, intubé puis revient à la vie. Pourquoi ça ? C’est inconvenant. Opportuniste.
Réengager les consommateurs
Les marques, et de façon générale les entreprises françaises, ont été dignes et solidaires face à cette situation, faisant front comme elles pouvaient, cherchant le bon liant avec leurs employés. Et maintenant ? La sortie n’est pas là. Mais on va s’en sortir. C’est certain. Alors, on ne va quand même pas passer votre vie à applaudir sur les balcons !
Les marques doivent commencer aujourd’hui à réengager leurs consommateurs. Un par un. Avec leurs traumatismes. Leurs états de choc. Les marques doivent d'abord accélérer leur transformation, tourner le dos aux fausses promesses de construction d’un monde meilleur. Elles doivent affirmer leur charisme, leur implication dans le monde. La Covid-19 a accéléré les nécessaires transformations : des industries plus propres, l’ère du consommer moins mais mieux, des process industriels plus éthiques.
Les marques vont devoir prouver à cœur ouvert qu’elles prennent soin de ce monde dont nous sommes aujourd’hui privés, chacun ayant l’irrésistible envie de vouloir le réinvestir. Bouger, aimer, toucher, goûter. Peut-être même transgresser. Tout cela sera possible, en restant légitimes, les deux pieds ancrés sur un territoire d’origine et le cœur tourné vers un avenir optimiste et l’envie d’y croire.
Rendre la transformation visible
Et puis les marques, pour rester des partenaires du quotidien, vont devoir reconstruire ce quotidien. Pierre par pierre. La culture est en berne. La jeunesse et l’entrepreneuriat aussi. Les marques doivent prendre leurs responsabilités dans la reconquête de l’enthousiasme français. Elles doivent permettre de générer le contre-choc de l’état de choc des consommateurs, redécouvrir le monde, réveiller la curiosité.
Les marques doivent être les «déclencheuses de bonnes nouvelles». Le «c’était mieux avant» doit laisser place à la joie et la détermination de préparer un avenir possible, plausible, fédérateur, dans lequel la somme des projets individuels construit un collectif louable et réjouissant. Cet avenir auquel les marques vont contribuer nous oblige, nous, les agences de communication. Il va falloir être plus que jamais dans le projectif tout en tenant compte de la réalité économique de nos clients, rendre la transformation visible, savoir penser et produire, être convaincu et savoir écouter. Et avoir le courage de ne plus savoir : ce que les gens pensent, ce qui les fait rêver, les problèmes qu’ils rencontrent, mais aussi la place du prix, l’équilibre du retail par rapport au e-commerce, le discours produit, la fidélité... Toutes les composantes sur lesquelles nous, agence, avions tant de certitudes sont à revoir.
Dans cette perspective, nous devons entrer en co-construction avec nos clients. Au quotidien. C'est le deuxième virage que doivent prendre les agences : réconcilier réflexion, création et production. Les agences ne doivent plus raisonner en livrables mais bien en solutions. Solution créative car il va falloir miser sur un décloisonnement total. Nous devons permettre à nos clients d’être bavards. Partout. Les enjeux de volume en termes de création de contenus vont devenir cruciaux. Là aussi, les agences doivent être porteuses de solutions de production.
De nouveaux modèles économiques doivent être mis en place. La flexibilité et la compétitivité ne doivent pas être des sujets tabous. Nous autres, agences, devons aussi profondément muter. Provoquer la transformation. Avaler nos egos et nos a priori pour déployer un nouveau savoir-faire, et surtout, un nouveau savoir-être. Au boulot ! Descendons de nos balcons…