D’abord réticentes, les télévisions pour enfants investissent en masse la plateforme de partage de vidéos. Et, au-delà, certaines développent même des écosystèmes complets dans la sphère digitale.

On connaissait la passion des adolescents pour le visionnage de vidéos sur internet. Les moins âgés ne sont pas en reste. Selon la dernière étude Junior Connect menée par Ipsos, les 7-12 ans placent la vidéo parmi leurs trois activités favorites sur le Net, aux côtés des jeux en ligne, de la musique et de la radio. Grand bénéficiaire: You Tube, largement en tête avec plus de 1,5 milliard de vidéos vues par mois en France, contre moins de 300 millions pour son plus proche concurrent, Dailymotion.

 

Les chaînes TV jeunesse n'ont pas manqué d'investir la plate-forme vidéo de Google, laquelle envisage maintenant de lancer un You Tube spécial enfants. Dernière en date, Canal+. Depuis juin, les 3-6 ans, cible de sa chaîne Piwi+, ont droit à deux chaînes You Tube: les bambins peuvent surfer sur Zac et Zig, tirée de l'un de ses programmes phares et constituée de pastilles ludo-éducatives, de comptines et… d'une nouvelle vidéo par semaine, ainsi que sur Piwi+, qui reprend les premiers épisodes de ses séries à succès.

 

Canal+ avait été précédée par Gulli, la chaîne 4-10 ans du groupe Lagardère Active. En mai, elle a ouvert huit canaux thématiques sur You Tube (Gulli Délire, Gulli Show, Gulli Ciné, Gulli Aventures…), autant de thématiques reprenant des contenus issus de ses programmes et diffusés dans des formats courts adaptés à You Tube.

 

Simple occupation du terrain, pour Gulli, Piwi+ ou les autres? La logique est plus complexe. «Nous n'avons jamais considéré You Tube comme un concurrent, note d'emblée Gérald-Brice Viret, directeur délégué des chaînes TV de Lagardère Active, dont celles pour la jeunesse (Gulli, Tiji et Canal J). Au contraire, c'est un atout marketing, un média complémentaire. You Tube, ce n'est pas de la télévision, mais du partage de vidéos. Avant, nous n'avions sur cette plate-forme qu'une chaîne promotionnelle. Avec ce bouquet de huit chaînes, nous allons plus loin mais, pour autant, nous ne diffusons jamais l'intégralité de nos programmes. You Tube sert avant tout à valoriser l'antenne, notre média premium.»

 

«Un élément de plus dans la chaîne de valeur»

 

Même analyse du côté des concurrents américains Disney et Nickelodeon, où l'on se dit convaincus que l'avenir de la télévision passe par la complémentarité entre le linéaire et le non-linéaire. Et si certains, dans les chaînes, prédisaient déjà la mort de la télévision si ses contenus étaient mis à disposition sur internet, ils se sont vite aperçus que You Tube ne cannibalisait pas l'audience de la TV, bien au contraire. «You Tube ne fragmente pas l'audience, c'est un distributeur de plus dans la chaîne de valeur, indique ainsi Thierry Cammas, PDG de Viacom, en charge des chaînes jeunesse Nickelodeon et Nickelodeon Junior. C'est un agent d'addition d'audience et de revenus, que l'on utilise notamment pour “snacker” nos contenus, c'est-à-dire en diffuser une partie à des fins promotionnelles ou événementielles.»

 

Chez Disney, on ne dit pas autre chose. «Les corners que nous avons sur You Tube nous servent depuis longtemps à créer et à amplifier le “buzz”, précise Hélène Etzi, directrice générale des chaînes Disney en France. Certains de nos succès exemplaires, comme celui de la “teen novela” Violetta, sont dus à cet écosystème composé de You Tube mais aussi de Twitter, Facebook ou de nos sites internet.»

 

Pour le prochain gros lancement de Disney en France, la série animé Star Wars Rebel, les équipes françaises ont même imaginé, le 3 octobre prochain, de diffuser le premier épisode à la fois sur le petit écran (Disney XD), les sites Disney et Canalsat ainsi que sur You Tube. «On a toujours cherché plus d'interactivité avec notre public, remarque Hélène Etzi. Ces plateformes non-linéaires nous ont apporté la flexibilité dont nous manquions, nous, chaînes de télévision, pour engager l'audience et l'amener à voter, par exemple. Et de manière plus générale à participer davantage.»

 

Investir toute la sphère numérique

 

Au-delà de la problématique You Tube se pose la question d'investir l'ensemble de la sphère numérique. Comment une chaîne jeunesse peut-elle éviter de voir les bambins quitter le poste de télévision pour surfer sur leur tablette ou leur smartphone? La solution passe par la création de véritables écosystèmes, chez Gulli (voir encadré) comme chez Nickelodeon. «Nous créons un écosystème en halo qui intègre toutes les dimensions de la consommation digitale par les enfants pour qu'ils puissent, à chaque fois qu'ils le veulent, entrer en contact avec nos héros», explique ainsi Thierry Cammas. Nickelodeon Junior avait déjà innové en offrant aux parents la possibilité de créer pour leur enfant une chaîne à leur nom, avec des programmes choisis par eux dans la grille de Nickelodeon.

 

Emboîtant le pas à son concurrent Gulli, le pionnier américain de la télévision pour enfants lance à son tour une tablette, la première pour une chaîne thématique payante. Décorée aux couleurs de Nickelodeon, elle permet comme n'importe quelle tablette de surfer sur internet ou d'envoyer des mails, et embarque aussi des épisodes de Dora ou de Bob L'Éponge ainsi que des applications maison. Objectif: en écouler de 10 000 à 15 000 exemplaires d'ici à Noël prochain. De son côté, Gulli en a déjà vendu 60 000 depuis son lancement en 2012 et promet pour les fêtes de fin d'année une nouvelle version, avec une innovation en matière d'interactivité. Les bambins apprécieront.

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