«Les Femmes aux Jeux, un parcours sinueux depuis 1896», tel est le titre de l’ouvrage signé des plumes de Julia Solans et Julien Moreau paru en juillet dernier. Il revient sur 128 ans d’histoire, en liant l’évolution des femmes dans la société à celle de leur présence dans la compétition olympique.

Comment avez-vous travaillé sur la conception de ce livre ?

Julia Solans. Lorsque nous avons eu l’idée du livre pendant nos études, nous avions déjà fait une maquette. Nous avons été pris tous les deux par nos carrières, et c’est seulement l’été dernier, à l’occasion des Jeux de Paris, que nous nous sommes dit que ça serait l’occasion de le concrétiser.

Julien Moreau. Nous sommes partis deux jours au Musée Olympique à Lausanne pour nous imprégner de la ville. Tout est répertorié là-bas, ça a été un travail de longue haleine.

L’ouvrage mentionne l’importance des témoignages et des spécialistes. Comment avez-vous sélectionné vos intervenant(e)s ?

J.S. Nous n’avions pas d’objectifs de nombre de personnes à interviewer. Nous nous sommes demandé qui seraient les intervenant(e)s les plus aptes à compléter nos vingt chapitres. Nous sommes loin d’avoir eu uniquement des sportifs. Plus de la moitié de nos entretiens se sont faits avec des spécialistes, et sur des thématiques précises – comme une spécialiste de la médiatisation des Jeux olympiques, ou une autre sur l’évolution des tenues au fil des Jeux.

Quels sont les principaux obstacles auxquels les femmes ont dû faire face pour participer aux Jeux olympiques depuis 1896 ?

J.S. Il y a un problème qui revient souvent et encore aujourd’hui : celui de la santé des femmes. Pendant longtemps, on leur a fait croire que le sport était dangereux pour elles, et ça dès le début en 1896. Il y a eu ces peurs que les femmes se blessent ou que leurs corps subissent des impacts qui pourraient les empêcher de procréer. Ça a été un sujet jusque dans les années 2000. En 2006, une déclaration du président de la fédération internationale jugeait trop dangereux pour les femmes qu'elles participent au saut à ski, et que médicalement ça pouvait impacter leur santé, alors que pas du tout. Pour le kayak, c’était aussi le cas où ça allait jusqu’à craindre que la manière de ramer pouvait déformer l’utérus.

J.M. C’est allé jusqu’à demander de prouver qu’elles étaient vraiment des femmes avec des tests de féminité. Même s’ils n’existent plus aujourd’hui, on voit que le problème persiste comme récemment avec la boxeuse Imane Khelif qui a été accusée d’être un homme pour différentes raisons, dont le fait qu’elle a un taux de testostérone plus élevé que la moyenne. C’était déjà le même problème dans les années 1960 et 1980. On se rend compte que même si les obstacles ont été franchis, ils restent quand même là.

J.S. La médiatisation des femmes reste un autre obstacle encore aujourd’hui.

J.M. Chez les athlètes féminines on va beaucoup parler d’esthétisme, alors que chez les hommes, on va glorifier la performance.

J.S. Par contre, il y a des obstacles qui ont été réglés comme la parité, ou la maternité, qui sont davantage pris en compte, et bien sûr le droit pour elles de participer à tous les sports.

Pourquoi la parité entre les athlètes hommes et femmes a-t-elle pris autant de temps à être atteinte ?

J.S. En se basant sur les chiffres de toutes les éditions des participantes féminines de 1896 à 2020, nous avons pu remarquer que le chiffre a augmenté très progressivement et qu’en 128 ans, les femmes ont gratté chaque fois de 5% en 5%. C’est à partir de 1972 que cette donnée a évolué et c’est en partie grâce à l’arrivée des nouveaux sports qui étaient mixtes dès le début, comme l’escalade, le breakdance, etc en 2020 et 2024.

J.M. Le CIO aura mis 90 ans avant d’accueillir les premières femmes en son sein en 1981. L’arrivée d’Anita L. DeFrantz [athlète américaine médaillée en aviron] au poste de vice-présidente du CIO en 1997 a beaucoup compté dans cette évolution, c’est d’ailleurs la première femme à avoir occupé cette fonction. Elle a mis beaucoup de choses en œuvre au sein du comité international olympique.

J.S. C’est grâce à elle qu’il y a eu des changements. C’est seulement à partir des années 1990 que le CIO a vraiment pris en compte la présence des femmes dans cet événement, et les effets sont remarquables : dès 1996 on est à environ 30% de participation féminine, puis à Londres on atteint les 44%, avant la parité des Jeux de Paris. Les effets ont été immédiats. Le développement du sport féminin est très lié à l’évolution de la femme dans la société, parce que les choses commencent réellement à changer de ce côté à partir des années 1990. Mais le sport a mis plus de temps que la société a être plus ouvert et égalitaire, notamment au fait d’un entre-soi masculin où pendant vingt ans, les mêmes personnes sont restées à la tête des fédérations, d’entraîneurs, etc.

Quels ont été les événements historiques qui ont influencé la participation des femmes aux Jeux olympiques ?

J.S. La Première Guerre mondiale a été un grand changement puisque c’est là qu’elles ont commencé à travailler en remplaçant les hommes qui étaient partis sur le front. C’est la toute première fois qu’elles ont vraiment réussi à obtenir un poste et montrer qu’elles pouvaient travailler comme les hommes. Les années folles de 1920 ont permis aux femmes de se libérer davantage, et il y a eu les premières stars féminines du sport comme Suzanne Lenglen qui a commencé à plus réfléchir aux performances. La fin de la Seconde Guerre mondiale a aussi ouvert des portes. L’un des symboles de cette évolution est la participation de l’athlète néerlandaise Fanny Blankers-Koen aux Jeux de Londres de 1948, puisque à 30 ans et mère de deux enfants, elle gagne quatre médailles en athlétisme et montre que les femmes ont totalement leur place.

J.M. Les figures féminines comme Alice Milliat, qui est l’une des premières femmes à faire bouger les choses pour que les femmes soient acceptées aux Jeux, ou encore Marielle Guichard, ont encouragé la participation des femmes aux compétitions sportives.

Quels sont les obstacles sur lesquels on devrait se pencher ?

J.S. C’est la question qu’on a posée à tous nos intervenant(e)s, et c’est d’ailleurs la thématique de notre dernier chapitre qui s’intitule «La parité à Paris 2024, l’arbre qui cache la forêt ?». C’est vrai que la parité, c’est bien et on en est tous très contents. Mais il reste encore des grands chantiers comme la médiatisation, qui reste un cercle vicieux puisqu’on ne parle pas assez de sport féminin, et qu’il y a encore peu de journalistes femmes dans les rédactions. La question des règles est traitée depuis les années 2010 avec certaines fédérations qui commencent à analyser les différentes étapes du cycle menstruel, etc. Enfin, il y a la question de la sexualisation comme au beach-volley et la gymnastique où les tenues font débat. 

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