Dans le salon Marbeuf, où se tenait le petit déjeuner organisé par l'IAB [Interactive Advertising Bureau] sur le mobile, la salle a interpellé vivement Médiamétrie sur ses chiffres au motif qu'ils tendaient à minimiser la place des terminaux mobiles dans la consommation média digitale. Mesure mobile, ou GRP vidéo, la mesure d'audience est le sujet chaud de la rentrée et le marché manifeste son impatience: il était temps.
Il est vrai que l'on ne peut que regretter le manque d'information autour de l'étude sur la mesure de l'internet global qui couvre le fixe et le mobile: elle n'a fait l'objet d'aucun communiqué de presse depuis son lancement. Médiamétrie est disert sur la progression spectaculaire de l'équipement et l'usage sur mobile et tablette, mais ce dont le marché a besoin aujourd'hui pour appréhender leurs places dans le quotidien des Français et faire évoluer la perception des annonceurs, c'est la part de la consommation et le temps passé sur le PC par rapport aux terminaux mobiles.
Si l'on en croit les chiffres récemment publiés par Millward Brown sur les individus multi-écrans en France, ils passent autant de temps à consulter internet depuis leur mobile que depuis leur PC et le cumul du temps passé sur les terminaux PC, mobile et tablette dépasse celui passé devant la télévision.
Ainsi, la mesure en silo pénalise le mobile, mais également le digital dans son ensemble car elle donne une vision fragmentée des usages et tend à minimiser son importance dans la consommation média globale.
Autre victime déclarée: la publicité vidéo. Aujourd'hui, la vidéo est un univers de mesure disjoint de l'internet fixe. Cela signifie concrètement qu'il est impossible de mesurer les performances globales d'un plan vidéo qui inclut des publicités «in-stream» de type pré-roll et des formats «out-stream» ou «in-banner» classiques. Comment peut-on accepter cette situation alors même que la publicité vidéo est le format de la convergence?
En l'absence de données médiaplanning globales combinant fixe et mobile, les agences utilisent par défaut des données PC pour arbitrer des investissements digitaux. Or la consommation digitale globale n'est pas une simple extrapolation de la consommation PC sur une base de population plus large. Certaines catégories, comme les sites médias, voient s'opérer un transfert des visites vers le mobile quand d'autres restent davantage centrés sur le PC, comme on peut l'observer grâce aux données MMX publiées par Comscore au Royaume-Uni. Toutes les cibles n'ont pas non plus le même comportement: seulement 4% des 25-34 ans outre-Manche n'accèdent à internet que via leur PC, contre 22% des 55 ans et plus.
Ainsi, les données PC donnent une vision faussée de la réalité et peuvent nous faire passer à côté de phénomènes importants et structurants pour l'évolution de la consommation média.
Pour le multi-écran comme pour la vidéo, Médiamétrie prévoit d'apporter des réponses d'ici la fin de l'année. En revanche, les travaux sur le GRP vidéo avancent très lentement pour des raisons diverses et dans une direction fortement infléchie par les chaînes TV, qui aimeraient réduire le périmètre de la vidéo à celui de la catch-up TV.
Cette position est intenable alors que les contenus TV ne représentent que 5% des vidéos vues. Faut-il le rappeler? Internet n'est pas la télévision et les publicités vidéo peuvent être diffusées en dehors d'un flux vidéo, avec des formats comme l'«in-read», placé au cœur du contenu éditorial.
Le choix de mesurer la visibilité de manière centralisée est aussi un des motifs du retard car le processus d'appel d'offres se révèle un parcours semé d'embûches. Il existe pourtant une alternative qui consisterait à certifier les solutions de mesure de visibilité plutôt que d'imposer un outil qui ne ferait pas le consensus. Pourquoi payer cette mesure alors que des solutions open source, comme Open VV, produisent des résultats? Autant de questions qui méritent d'être débattues.
Et pendant ce temps-là, Google calcule des GRP en s'appuyant sur les chiffres Nielsen et son propre outil de mesure de visibilité. Cette situation absurde me fait penser au film Good Bye Lenin, où un fils soucieux d'éviter à sa mère un choc émotionnel qui lui serait fatal se débat pour entretenir l'illusion que rien n'a changé en RDA alors même que le mur de Berlin est tombé. La volonté farouche des régies françaises de défendre leur pré carré ne suffira pas à maintenir une frontière artificielle entre l'in-stream et l'out-stream, ni à tenir à distance les concurrents américains, qui finiront par imposer leurs normes au marché si nous continuons à tergiverser.
Il est temps pour nous tous de réagir car les opérateurs du marché ont les moyens de mettre en place leurs propres outils, voire pour les plus importants de privatiser la mesure d'audience. Du point de vue des annonceurs et des agences, cette dérive constitue une vraie régression par rapport au modèle de la télévision, où ils ne sont aucunement tributaires des chaînes pour connaître les performances estimées ou constatées de leurs campagnes.
Je ne pense pas qu'il soit impossible de maintenir une mesure de référence fiable, mais, pour cela, nous devons la réformer pour en faire une mesure holistique, plus agile et collaborative, qui ne cherche pas forcément à ménager les médias traditionnels, et serve vraiment les intérêts du digital. Mobilisons-nous!