Quel chemin parcouru depuis deux ans au sein des entreprises françaises! A cette époque, le digital se résumait principalement à des e-mails, des smartphones et quelques tablettes. Cela nous avait d'ailleurs poussés, Nicolas Colin et moi-même, à lancer un cri d'alarme dans Les Echos pour essayer de créer un électrochoc.
L'étude Captain Dash-Les Echos que j'ai réalisée au cours du printemps 2014 concernant l'agilité digitale des entreprises du CAC 40 m'a montré combien la prise de conscience est maintenant présente. Par rapport aux entreprises comparables, au sein de l'environnement international, les grandes entreprises du CAC n'ont généralement que peu de faiblesses marquées. Elles ont mis en œuvre des stratégies ambitieuses de transition du «on-premise» vers le «cloud». Le big data est en chantier chez la plupart d'entre elles. On y retrouve là l'expertise d'une nation qui continue à valoriser les formations d'ingénieurs et de techniciens supérieurs, et de surcroît qui dispose d'une bonne expertise en mathématique.
Des faiblesses significatives perdurent toutefois: le numérique est encore trop perçu comme une technique et non comme une révolution culturelle. Ainsi, la mise en place d'un vrai écosystème basé sur l'ouverture de la donnée, la distribution d'API [interfaces de programmation] à la multitude ou encore l'intégration de méthodes agiles reste un point de faiblesse.
Cela caractérise bien une société qui est généralement fascinée par l'élitisme, et qui a du mal à travailler en équipe, et plus encore en équipe pluridisciplinaire. Ces changements sont pourtant essentiels pour permettre à nos champions de retrouver de l'agilité, du potentiel innovants et, d'une façon générale, pour être capable de se mouvoir rapidement face à une nouvelle génération d'acteurs qui ne les attendent pas.
Car ne nous y trompons pas. L'analyse montre que pas une société du CAC 40, et probablement pas une société en France, n'est pas, à des degrés divers, potentiellement concernée par cette révolution digitale. Exploitant pétrolier ou de supermarchés, entreprise de distribution, assureur, fabricant aéronautique, etc., tous peuvent potentiellement perdre beaucoup…, mais aussi gagner énormément en fonction de la façon dont ils abordent la transition digitale.
La pire des attitudes consisterait à isoler le digital en silo et, finalement, à empêcher la contamination de cette révolution à l'ensemble de l'entreprise. Celles qui réussissent ont en effet systématiquement une caractéristique commune: c'est de l'implication du CEO et de l'ensemble du management qu'est venue la transformation de l'entreprise.
Il est vraisemblable que ce changement représente une rupture plus importante que celui que représente l'adoption de nouvelles techniques. A cet égard, il est fascinant de voir comment le modèle anthropologique propre à chaque nation peut devenir au choix un handicap ou un avantage compétitif en fonction de la façon dont on le met en œuvre. L'idée d'entreprises ouvertes sur la multitude, où une part significative des processus hiérarchiques sont remplacés par la plateforme, dont les collaborateurs disposent d'une économie renforcée, est, a priori, rebutante à beaucoup.
Réussir cette transformation serait pourtant bénéfique à l'ensemble de la société française. Cela permettrait de sortir d'une logique trop intégrée dont souffrent l'ensemble des acteurs économiques, et qui caractérise l'un des facteurs expliquant pourquoi nous n'avons que peu d'ETI [entreprise de taille intermédiaire] et pourquoi nos PME croissent finalement moins vite que celles du Royaume-Uni ou d'Allemagne. Ce serait aussi une façon de participer à un changement de modèle qui concerne également le vivre ensemble et le fonctionnement des institutions. Toutes notions qui, ensemble, caractérisent une révolution industrielle, voire de civilisation.
