Au risque de paraître paradoxal, osons dire que l'apparition en France des «adblockers», les logiciels bloquant la publicité sur internet, possède, pour nous acteurs de la publicité en ligne, un bienfait. En nous mettant face à une situation radicale – la menace des modèles économiques de nos clients éditeurs en ligne et par voie de conséquence des nôtres –, elle nous oblige à repenser radicalement la pratique de notre métier.
Avant toute chose, il convient évidemment de tout mettre en œuvre pour contrer frontalement l'action des adblockers qui porte atteinte à nos intérêts légitimes et in fine à ceux des consommateurs et des internautes.
Par la voie juridique, en défendant la propriété intellectuelle sur les codes, en dénonçant les pratiques de concurrence déloyale et les problèmes de sécurité pour nos utilisateurs. Toutefois, les solutions d'adblocks ne sont pas toutes identiques et il convient de conduire une analyse juridique approfondie pour apporter la réponse la plus efficace.
Par une réponse technique, pour bloquer les bloqueurs. Tout en sachant que les tentatives de solutions techniques sont en général rapidement neutralisées par les adblockers. Les alarmes ont beau être de plus en plus sophistiquées, les cambrioleurs aussi. C'est pourquoi le marché se réunit actuellement en vue de proposer une solution pérenne.
Par une médiatisation de leurs pratiques douteuses. Car les adblockers, qui affirment agir au nom de l'éthique, n'hésitent pas parfois à enfreindre la plus élémentaire des règles éthiques en se livrant à ce que l'on peut qualifier du racket organisé, via leurs listes blanches. Cela consiste à faire payer les éditeurs ou les annonceurs pour qu'ils soient débloqués!
Par un effort pédagogique constant, pour informer le consommateur des enjeux. Lui rappeler encore et toujours que s'il bloque la publicité, il met en péril financièrement les sites qu'il consulte.
Car il est essentiel que l'internaute ait toutes les cartes en main avant de faire son choix: la publicité constitue une source de revenus vitale pour que la plupart des sites puissent fournir contenus et services de qualité. Détruire ce cercle revient à risquer de ne plus avoir accès gratuitement à tout cela. Et les études attestent que les internautes, dans leur écrasante majorité, ne sont pas prêts à débourser le moindre centime pour naviguer sur un web sans publicité.
Pour autant, faire porter le poids de la responsabilité par les consommateurs serait une attitude irresponsable. Dans le monde d'internet, où la gratuité s'impose comme un standard de consommation, pointer du doigt le client parce qu'il se détournerait de la publicité, et donc tuerait les sites qu'il visite, aurait à peu près les mêmes effets qu'auprès du même consommateur accusé de pirater des films et de la musique, et donc de tuer ces industries. C'est-à-dire aucun.
C'est donc bien à nous, professionnels des contenus et de la publicité qui les finance, de prendre nos responsabilités. En éliminant les comportements publicitaires agressifs qui, même s'ils sont de plus en plus rares, produisent toujours un effet dévastateur car ils marquent durablement les esprits et provoquent le rejet général.
La publicité rend un service quand elle arrive au bon moment et au bon endroit, elle devient insupportable quand elle se rappelle à vous au moment où vous ne vous y attendez pas. Quand je choisis un hôtel sur un site et que l'on me propose les bons plans au départ de ma supposée résidence, c'est bien; quand on revient pendant dix jours me proposer des publicités sur le même sujet alors que je suis déjà revenu de vacances, c'est beaucoup plus énervant.
Dans cette perspective, la lutte contre les adblockers doit surtout prendre la forme d'un combat pour une meilleure publicité en ligne pour le consommateur. C'est ce que nous cherchons à faire à l'IAB France depuis quinze ans en réunissant l'ensemble du marché pour convenir de règles, de recommandations et pour encadrer la publicité en ligne. Avec pour objectif constant de veiller au respect de l'internaute et au confort de sa navigation.
Et, pour cela, le meilleur gage reste encore la créativité. Créativité par rapport aux innovations techniques, aux nouveaux modèles de communications online, aux réseaux. Créativité dans l'utilisation intelligente et respectueuse des données. Créativité dans les contenus.
Dès que la publicité cesse de devenir invention, elle devient invasion. Et légitime de ce fait l'existence et la propagation des adblockers. À nous de donner toujours plus aux consommateurs l'envie de nous suivre. La publicité doit faire sa publicité. A nous de rester désirables par des contenus toujours plus riches, toujours plus pertinents, intelligents et bien produits qui flattent l'intelligence des internautes et leur donnent envie de s'engager avec les marques dont nous défendons les intérêts.