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Tribune. Le brand journalism est désormais une réalité. Une dérive pour Simon Castéran, journaliste.

Connaissez-vous le «brand journalism», ou journalisme de marque? Le principe est simple: prenez quelques journalistes affamés, cyniques ou inconscients, et demandez-leur de mettre leur talent au service de la promotion d'une marque comme Red Bull, McDonald's, Coca-Cola ou encore Apple!

 

Chaque jour, ces vaillants petits soldats du marketing se feront ainsi un devoir de nourrir votre média papier ou Internet d'un contenu aussi divers qu'attrayant: news, interviews des porte-parole autorisés de la marque, reportages sur ses nouveaux produits, discussion avec les internautes sur les réseaux sociaux… Et tout cela sans fuite d'informations ni le moindre article critique! Avec le «brand journalism», les marques inventent le journalisme sans risques.

 

Un impératif du marketing moderne

 

Dans un article publié le 21 juillet dernier sur le site d'Advertising Age, Larry Light, l'ancien directeur du marketing de McDonald's et actuel PDG du cabinet de consultants Arcature, estime ainsi que le journalisme de marque est un «impératif du marketing moderne». Ce concept, poursuit le marketeur, «ne bouscule pas seulement la vision traditionnelle du management de marque, mais aussi celle du journalisme. Le journalisme de marque évolue vers la création de contenu, en utilisant les compétences journalistiques», qui, en se fondant avec les techniques du management de marque, créent «une plateforme puissante de communication».

 

«Bousculer le journalisme»… Le mot est lâché. Avec un peu de mansuétude, on aurait pu croire que le journalisme de marque n'était qu'un abus de langage et que les marketeurs tiendraient à garder une certaine distinction entre la communication et le journalisme traditionnel. Or, à terme, il s'agit bien de «secouer cent ans de journalisme», comme s'en félicitait déjà, en mars 2012, le journaliste de Forbes Lewis Dvorkin dans son article «Les coulisses de Forbes: la naissance du journalisme de marque et pourquoi c'est bon pour le business de l'actualité». Jetant à terre cet honorable vieillard qu'est le journalisme, et sa déontologie avec lui, Lewis Dvorkin prétend ensuite le relever grâce à un «modèle durable de journalisme soutenu par la communication qui bénéficiera à tous ses participants – rédacteurs et reporters compris».

 

Alors, bien sûr, certains protesteront, car quelle meilleure garantie d'une information de qualité que son indépendance vis-à-vis du pouvoir financier? «Certains journalistes traditionnels peuvent trouver cela inconfortable», concède pudiquement Lewis Dvorkin. Lequel opère néanmoins une subtile distinction: si «la mission du journalisme est d'informer, ce qui requiert observation, sélection et interprétation, avec tous les biais que cela implique, le business du journalisme est de fournir aux partenaires marketing de nouveaux moyens de toucher les consommateurs»!

 

Le journalisme de marque, un contresens total

 

Mais n'en déplaise à mon illustre confrère, le journalisme de marque est un contresens non seulement total, mais surtout mortifère. Comme le fait justement remarquer la journaliste Sylvie Ferri-Kermarrec dans un post publié en mars 2013 sur Mediapart, dans le monde merveilleux du brand journalism, «le mot information a d'ailleurs disparu du vocabulaire au profit du terme contenu». Car l'objectif n'est «pas d'informer, mais bien évidemment de vendre». Peut-on imaginer pire dévoiement de l'essence du journalisme?

 

Pire, la captation par le marketing du mot et des pratiques du journalisme risque d'introduire la confusion dans l'esprit des lecteurs, déjà dubitatifs quant à l'indépendance des médias. Si marketing et journalisme finissent par se confondre, quelle légitimité auront encore les journalistes à leurs yeux? La question est d'autant plus prégnante que cette même légitimité est le dernier gagne-pain de la presse, qui dépérit à vue d'œil du fait de la baisse du lectorat et des rentrées publicitaires. Lesquelles s'en iront bien vite peupler les médias de marque, laissant un seul choix aux journaux: se soumettre au marketing, ou disparaître.

 

Une citation célèbre – mais totalement apocryphe – attribuée à Benjamin Franklin postule qu'un peuple «prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux». Il en va de même ici: une société prête à échanger beaucoup de journalisme pour un peu de marketing ne mérite ni l'un ni l'autre, et finira par perdre… le journalisme.

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