Deux chercheurs, après des jours et des nuits de tentatives, réussissent enfin une expérience de première importance. L'un des deux exulte de joie tandis que l'autre, français, garde le front plissé. «On a réussi, c'est fantastique, ça marche!», dit le premier, et le Français de répondre: «En pratique, oui. Mais en théorie ?» Alors, oui, il y a, il va y avoir en France de longs questionnements et discussions sur les régions et leur nouvelle carte. C'est bien sûr nécessaire et essentiel, «ma non troppo», si l'on veut établir une ligne claire de décision, de conviction et de ralliement.
On invoquera l'histoire et la tradition, pourtant, les régions sont nées en 1972 et n'ont une instance élue que depuis 1982: c'est un peu court pour prétendre à l'Histoire. D'ailleurs, quand un nom est un acronyme (Paca, par exemple), on se doute bien que ce qu'il désigne n'est pas bien vieux… Et puis, si en Allemagne et en Italie, l'union des régions a créé l'Etat, en France, c'est l'Etat qui a créé les régions, sacrée différence. Les régions françaises sont jeunes et existent au nom de l'efficacité du pays.
Aujourd'hui, décision est prise de modifier la carte, alors immédiatement apparaissent les conditions et les conséquences qu'il faut provoquer et/ou gérer. Et bien sûr la communication devient un sujet. Les situations des régions à naître et de celles qui demeurent sont toutes différentes, pourtant il y a une constante. Partout, les arguments de rationalité, bonne gestion, bonne organisation sont importants, mais ils parlent à la tête lorsqu'il est temps de parler au cœur et au ventre. Alors il faut qu'il y ait un élan, de la vitalité. Il faut que le plus grand nombre soit convaincu que ces nouveaux ensemble sont efficaces parce qu'ils sont adaptés au temps présent et futur: à la vie. Dans un monde idéal, cette démonstration doit commencer sans attendre l'aboutissement du processus… Et puisqu'il est question des régions, il faut que quelque chose se passe dans les régions.
Mais qui va lancer ce mouvement anticipé? Les responsables régionaux, alors que pas mal d'entre eux sont contre la réforme? On peut en douter, mais il le faudrait: lorsqu'on voit s'exprimer ensemble, concrètement, les présidents des régions Bourgogne et Franche-Comté, on voit bien que les choses pourraient être rapides et efficaces.
Prenons-le pour un fait, le lancement de la dynamique d'adhésion aux nouvelles régions et de leur construction pourra venir plus sûrement du bas que du haut (du local que du national), parce que c'est le niveau des reconnaissances mutuelles, des intérêts communs, des nécessités pratiques partagées et que l'histoire se fait à hauteur d'homme. Et puisque rien n'est finalisé, qu'il faut être prudent, laisser place à la contradiction et aux revirements, puisqu'il faut imaginer, la bonne piste est sans doute celle de l'expérimentation.
Expérimenter les idées: «que pensez-vous de…», «êtes-vous d'accord si…», « que préférez-vous…», « selon vous, comment pourrait-on…», cela veut dire entrer dans une ère de coconstruction, de travail collaboratif. Par la même, on adoptera des notions neuves de management et de gouvernance, pleines de potentiel (qui font même rêver) et on apportera la preuve que quelque chose de nouveau peut advenir et accélérer le renouveau des régions et du pays. C'est ainsi que les Français comprendront qu'il ne s'agit pas de «déplacer les meubles» une fois de plus, mais qu'il s'agit d'un vrai mouvement. Et puis, bien sûr, il serait souhaitable d'accélérer la mise en place de l'open data pour qu'en profondeur, pas seulement en surface, les personnes puissent consulter des données et apprécier la compatibilité des territoires rapprochés, ce qui diffère, les problèmes ou les solutions.
Toutes les questions ne peuvent être traitées ainsi et, quoiqu'il en soit, la décision revient aux élus. Mais on peut espérer que les responsables territoriaux, même ceux qui ne sont pas favorables à la réforme, auront pleinement conscience qu'il faut préparer les citoyens au changement en les impliquant réellement et tôt dans le processus, même si celui-ci est encore incertain. Lisons attentivement la récente enquête de la CNDP [Commission nationale du débat public] sur le citoyen et la décision publique, c'est éclairant.
Ainsi, il est difficile de baptiser les nouvelles régions sans l'avis (ou les propositions) de ceux qui y vivent. Il sera riche d'interroger les usagers des transports sur leurs besoins et les parents sur les collèges pour mieux organiser et faire valoir ces compétences régionales nouvelles et étendues. Il sera utile de travailler avec les entreprises sur l'attractivité d'un territoire dont on doit identifier les atouts et construire l'ambition, etc. Peut-être qu'ainsi des populations admettront pouvoir avancer ensemble, sans se méfier les unes des autres, sans regrets mais avec intérêt et une certaine fierté.
Mais la communication ne pourra pas s'attacher uniquement à la mission originelle de provoquer le ralliement et l'adhésion, elle devra aider à répondre à de nombreux autres enjeux. Quelle politique d'attractivité touristique? Comment gérer le changement lui-même (on connait les inquiétudes des fonctionnaires territoriaux)? Que faire du capital image acquis par beaucoup de régions? Comment construire (reconstruire) une existence à l'international (c'est de plus en plus important)? Comment faire en sorte que ceux d'une région ne craignent pas de se faire dévorer par une autre, plus riche, réputée plus dynamique?
La liste de questions qui concernent la communication est longue et le chantier crucial. Nous communicants, attachons-nous à montrer que cela marche. Soyons efficaces, comme doit l'être la réforme et comme elle doit être comprise. Soyons humbles: organisons la communication pour que les populations des différentes régions participent à la construction de leur avenir. Ne prétendons pas nous mettre à leur place. Soyons nouveaux dans les moyens et dans les modes de relations avec les cibles: la communication, elle-même, doit clairement indiquer la modernité et l'efficacité de la réforme.