Tribune
Nous analysons toujours le bad buzz à travers le prisme de la crise. Le bad buzz serait une crise. Une crise d'un nouvel ordre, du fait du Web, de la viralité de l'information et de la liberté de prise de parole des internautes. Qu'en est-il vraiment? La réponse de Pierre Delahoulière, consultant crise et influence chez Human to Human.

Le bad buzz n'est pas une crise. Revenons sur un exemple précis: le scandale de la viande de cheval. Ce phénomène se différencie d'un bad buzz pour deux raisons principales. La première est qu'une crise telle que celle de la viande de cheval aurait pu avoir lieu sans le Web et les réseaux sociaux qui ont ici servi de caisse de résonance à une crise qui existait en dehors. Rappelons qu'en 1979, Le Canard enchaîné n'avait que le papier pour révéler l'affaire des diamants de Bokassa. Sans vouloir établir de règle définitive, on peut émettre l'idée selon laquelle les bad buzz vont du «on» vers le «off» quand, à l'inverse, les crises vont du «off» vers le «on».

La seconde raison est que l'impact concret de telles crises sur les marques est d'ordre structurel et bien plus important que celui d'un bad buzz. Après le scandale de la viande de cheval, Spanghero est passé à deux doigts de mettre la clé sous la porte, avant d'être repris par la famille éponyme, qui n'a conservé que 90 des 230 salariés de l'entreprise, désormais active sous le nom de La Lauragaise. Findus s'est de son côté engagé à ne plus utiliser que du bœuf français dans ses plats préparés.

Certains médias, qui surfent sur la vague des bad buzz, leur confèrent souvent une importance démesurée, renforçant par là-même leur visibilité immédiate. A long terme, cependant, les traces d'un bad buzz se révèlent presque nulles. Il est par exemple peu probable que la première image qui nous vienne à l'esprit quand on pense à la Police nationale ait quelque chose à voir avec le «fail» de l'institution sur Twitter. Certains insistent sur l'idée selon laquelle Internet garde tout en mémoire. Pourtant, dans la masse d'informations partagée chaque jour, cette mémoire demeure souvent à l'état de latence. Et son incidence dans un monde dominé par le «court-termisme» est très discutable.

 

Le bad buzz comme «hacking» de l'attention. Si le bad buzz n'est pas une crise, de quoi relève-t-il alors? Revenons sur le cas Numericable. Pour vanter la rapidité de son offre Internet, la marque sort un visuel promettant à ses clients de télécharger «aussi vite que [leur] femme change d'avis». Sur Twitter, Numericable est alors accusé par les féministes de faire le lit du «sexisme ordinaire». Dans la foulée, il publie un nouveau visuel, au masculin: «Téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses.» Certains diront qu'il était trop tard pour rattraper le tir et que, quoi qu'il en soit, les deux visuels répondent à des clichés sexistes éculés.

Mais l'enjeu est ailleurs. Car au-delà de l'indignation, importante mais prévisible, des féministes, que reste-t-il? Une visibilité importante de Numericable et de son offre Internet. Dans l'univers informationnel saturé que nous connaissons, le bad buzz retient l'attention. Choquer une partie de l'opinion, pour marquer sa présence auprès de la majorité. Certains bad buzz relèvent certes de la maladresse, mais plus profondément, ce qui se joue dans un bad buzz, c'est la guerre de l'attention.

 

Le bad buzz, une fenêtre de tir. A partir de ces analyses, nous pouvons tirer plusieurs enseignements. D'abord, parlons de gestion des risques, pas de gestion de crise. Pour gérer un bad buzz, la problématique est dans la balance, toujours subtile, à établir entre bénéfices d'attention et risques d'image. Choquer, certes, mais pas trop, ou alors, les bonnes personnes. On ne se situe alors plus dans la gestion de crise mais dans la gestion des risques.

Ensuite, écoutons l'infra-Web. Si l'opinion des influenceurs n'est qu'un intermédiaire pour émerger auprès d'une opinion publique plus large, c'est bien cette dernière, parfois moins visible mais tout aussi importante qu'il importe de sonder. La position des influenceurs doit certes être prise en compte afin de prévenir et de contrôler le dérapage. Mais penser qu'elle serait représentative de l'opinion majoritaire constitue un biais méthodologique erroné. En termes de canaux, sur le digital, cela implique notamment de ne pas limiter l'analyse à Twitter et à quelques blogs influents.

Enfin, transformons le bad buzz. Pensé tactiquement ou véritablement subi, le bad buzz est un premier pas dans une démarche plus globale de visibilité. Il ne permet que de briser l'indifférence des internautes vis-à-vis des contenus de marque. Il retient et marque l'attention, au moins un court instant, et permet de créer une «écume» sur laquelle surfer plus ou moins habilement. Mais la terminologie bad buzz est-elle encore la bonne?

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.

Lire aussi :