Déjà très (trop ?) discrets, les négociateurs du traité transatlantique de libre-échange n'ont pas fini de raser les murs. Les résultats des élections européennes, qui se sont soldés le 25 mai par une vague europhobe sans précédent avec une forte poussée de l'extrême droite notamment en France, traduisent une attitude défensive qui n'est pas franchement en phase avec la libéralisation accrue des échanges entre les Etats-Unis et l'Union européenne visée par le traité Tafta (Transatlantic Free Trade Area).
Un sondage de l'institut CSA publié le 20 mai par L'Humanité souligne les réserves exprimées par les Français sur le sujet. Ces derniers sont certes plutôt favorables au principe d'une facilitation des relations commerciales entre les deux rives de l'Atlantique: 71% approuvent l'harmonisation des normes et réglementations, et 68% sont en faveur d'une suppression des droits de douane et de la création d'un marché commun. Mais quand il s'agit d'estimer les bénéfices que pourrait en tirer l'Europe, les Français pensent que ce serait plutôt une menace pour elle (45%) et encore plus pour la France (50%). Sur ce dernier point, sympathisants du Front de Gauche (69%) et du Front national (63%) se rejoignent. Au total, près des deux tiers des Français (63%) considèrent que les Etats-Unis en tireront les principaux bénéfices.
Relation de méfiance
«En avril 2012, une de nos études montrait que, contrairement à 2007 lors d'un précédent sondage, les Français avaient désormais une vision négative de la mondialisation, note Marek Kubista, chargé d'études senior au pôle Opinion-Corporate de CSA. Cette nouvelle enquête sur le traité transatlantique confirme cette relation de méfiance vis-à-vis de la mondialisation et par ricochet à l'égard de l'Europe, considérée par une partie de l'opinion comme le cheval de Troie de la dérégulation.»
Ce sont bien les craintes d'un abaissement des normes et d'une justice internationale qui donnerait plus de pouvoirs aux entreprises face aux Etats qui ressortent de cette étude. 84% des Français sont particulièrement opposés à un nivellement par le bas des normes en matière alimentaire. De même, ils sont 71% à rejeter la possibilité que les différends entre les Etats et les entreprises soient réglés devant un tribunal arbitral international plutôt que devant la justice française. «Or, plus les gens connaissent la teneur du traité, plus ils y sont opposés», ajoute Marek Kubista qui rappelle aussi que, jusqu'ici, l'essentiel des débats a été porté par les opposants au traité.
Autant dire que le défi à relever par les partisans du traité est énorme. «Tant que le contenu du traité n'est pas public, il est difficile d'engager un travail de pédagogie. Or, la confidentialité, inhérente à ce genre de négociations, est justement perçue comme anormale par 70% de l'opinion», conclut Marek Kubista. Rendez-vous en 2015.