A l'aune du branding, l'acronyme «BRIC» se prononce avec un B affirmé, un R léger et des I et C presque inaudibles. A l'exception de Lada racheté par Renault-Nissan et Fabergé raflé par l'anglais Gemfields pour la Russie, hormis Tata Motors, le sauveur de Jaguar, et Forest Essentials, racheté par Estée Lauder pour l'Inde, ou en dehors de Lenovo, la marque d'ordinateurs, et Haier, celle de produits blancs pour la Chine, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ne brillent pas par le nombre de leurs marques mondiales et même locales. Sauf… le Brésil.
Ce pays a en effet créé en moins de cinquante ans un portefeuille de marques inégalé par aucune des autres puissances émergentes ni même par la plupart des pays «émergés»: Natura et Grupo Boticário – premier et deuxième groupes de produits de beauté brésiliens, mais aussi tous les deux dans le Top 15 mondial –, Osklen, Melissa, Lenny, Paula Raia, Collci ou Havaianas dans la mode, le joaillier Stern, Unique et Fasano dans l'hôtellerie de luxe, sans oublier Embraer, cinquième constructeur aéronautique au monde, les bières Antarctica et Brahma, aujourd'hui réunies au sein du groupe belgo-brésilien Inbev, le distributeur de proximité Pão de Açúcar (Groupe Casino) et Iguatemi, le numéro un des shopping malls haut-de-gamme, pour n'en citer qu'une quinzaine…
Certaines de ces marques visent le marché mondial, les autres restent résolument domestiques, mais toutes rivalisent avec les marques internationales et, fait marquant s'il en est, aucune ne renie, bien au contraire, sa culture brésilienne, contrairement à celles originaires des autres BRIC qui n'ont de cesse d'apparaître «culturellement inodores et incolores», pour reprendre l'expression employée dans les années 1980 par le professeur Koichi Iwabuchi à propos de la stratégie des marques électroniques japonaises.
De ces quatre pays sortis de périodes d'étatisme prononcé, le Brésil semble être le seul à posséder ce talent et cette énergie particuliers que réclament la création de marques et leur animation, le «branding». Pourquoi? A mon sens, pour les deux raisons suivantes:
la première est qu'il y a une marque Brésil, une «Brazilianness» comme il existe une marque France, qui fait vendre toutes ses marques filles, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières. Si la marque France peut se résumer à un mot (son «one-word equity»), l'élégance, si celui de l'Italie est la «dolce vita», si la «Brand USA» est «Yes we can», si, pour l'Angleterre, c'est l'excentrisme, le «one-word equity» de la marque Brésil est optimisme. En dépit de tout, cruauté coloniale ou brutalité politique, injustice sociale ou violence des gangs, et en toutes circonstances, la valeur refuge autant que la valeur d'avenir c'est l'optimisme.
La seconde raison de la puissance croissante des marques brésiliennes est qu'il existe au Brésil, comme en France, une habileté à «engager» l'autre, mais d'abord une volonté de comprendre l'humain (en opposition au consommateur), ses besoins et ses rêves. En marketing, cela s'appelle chercher et proposer de la pertinence plutôt qu'à batailler, à l'anglo-saxonne, pour amplifier les points de différence, les «plus» de son produit par rapport à ceux de ses concurrents. Au Brésil comme en France, vendre, donc séduire, c'est exprimer l'essentiel à son interlocuteur plutôt que de se bagarrer à la marge avec son compétiteur.
Comme nous, les Brésiliens mesurent la valeur de cet intangible qu'on appelle une idée, qu'elle se nomme liberté ou progrès, amour ou beauté. Comme nous, ils croient donc aux marques dont la mission, la valeur, est d'incarner un idéal, un avenir… une forme d'optimisme!