Il y sept ans, notre intuition était que le Web social allait être l'occasion de renouveler notre façon d'entrer en relation avec nos contemporains. Quelle expérience, quel bilan aujourd'hui?

 

Le quali-collaboratif réinvente l'articulation raison/émotion et individu/collectif au cœur d'une démarche d'écoute... D'abord en cassant la distinction artificielle rationnel/émotionnel. Une critique parfois faite au qualitatif online est de privilégier une expression consommateur rationnelle. A l'inverse d'une démarche offline qui ferait place, elle, aux émotions. En réalité, la pratique online redéfinit la relation émotionnel/rationnel dans les études qualitatives: avoir un espace d'expression personnel, anonymisé et généreux en temps, c'est pour le consommateur pouvoir exprimer coup de gueule ou coup de foudre et ensuite dire son attachement, son intérêt, sa déception. Avec la force d'évocation et le recul de l'écrit. Ensuite en mettant chacun en situation d'être seuls, ensemble. Et concilier ainsi le meilleur des deux mondes: l'intimité et le respect de l'individu que permettent l'anonymat, l'asynchronicité et la délocalisation du terrain; la démarche communautaire qui permet de profiter du meilleur du collectif. Avec un bénéfice évident: mieux comprendre ce que signifie gérer une famille sans modèle parental clair, voir son visage vieillir, être déçu d'une marque aimée. Parce que c'est la certitude d'obtenir des insights plus forts parce que partagés par tous à partir de récits individuels.

 

... si on sait créer les trois conditions de plus de partage... Primo, adopter un autre «look & feel». Le digital permet de changer la donne et de surprendre le consommateur, pour le meilleur, de redéfinir l'univers de référence des études qualitatives. Proposer de participer à une investigation de ce type, c'est proposer autre chose. Et d'abord une autre forme, à la fois familière et différente, qui le sorte du cadre mental «enquêteur/enquêté», «institution/individu». Secundo, trouver le ton: le modérateur est un rédacteur. Le Web, c'est le retour en force de l'écrit, pour le plus grand bonheur du curieux qui va pouvoir non seulement entendre ou voir, mais lire ce que les gens ont à dire. Et l'émergence d'une règle d'or: les gens parlent comme on leur parle. Le quali-collaboratif change le métier de l'expert étude, il le transforme en rédacteur. Et exigera demain qu'il ajoute une dose de créativité, de sensibilité et de talent littéraire à sa compétence initiale pour trouver les méthodes, les jeux, les exercices qui changent un terrain d'étude en atelier d'écriture. Tertio, parler peu mais bien. Face à la magie d'avoir «sous la main» 60 ou 120 personnes réunies pour parler de mon sujet, pourquoi ne pas leur parler tous les jours, poser toutes les questions possibles, en temps réel? C'est la tentation: il faut savoir y résister. La liberté est le contraire de l'intrusion. Sur-solliciter, c'est épuiser rapidement l'envie de jouer le jeu avec nous. Se donner un nombre limité de «topics» à explorer avec sa communauté, cadrer sans interférer, déclencher plus que questionner: tout ceci veut dire, aussi, une transformation de nos réflexes et de nos techniques.

 

... et si on se donne les instruments pour ne pas passer à côté de ce plus. D'abord, en apprenant à gérer une information surabondante. Comment ingérer et analyser? Une seule réponse: la discipline. Jamais le travail de décryptage de la parole n'aura demandé autant de rigueur. Travailler avec ces nouveaux outils, c'est appréhender l'investissement-temps qu'ils représentent: tout lire en temps réel, puis tout relire. La force du quali-collaboratif, c'est aussi son exigence. Ensuite, en réapprenant à lire. En 1999, le «Cluetrain Manifesto» expliquait que «les marchés sont des conversations», que les gens «s'organisent plus vite que les entreprises et les institutions» pour se parler. Mettre en œuvre une démarche quali-collaborative, c'est provoquer ce foisonnement de l'échange entre pairs qui caractérise une plateforme d'étude qui fonctionne bien. Et se forger à partir de la stylistique ou des sciences humaines les instruments qui permettent de lire l'ordre de la logique consommateur sous le désordre apparent de la conversation. Et de tirer le meilleur de cette narrative non-fiction, de cette littérature du réel que devient le matériel d'étude. Enfin, en donnant du sens au temps. Quinze jours, c'est peu et énorme pour un consommateur. Peu, car le mobiliser plus longtemps est difficile, voire contre-productif: qui peut, ou veut, se mobiliser des mois durant pour parler de nos sujets sans être un professionnel de nos industries? Enorme, car offrir quinze jours pour s'exprimer à un participant, c'est aussi lui donner le temps de l'évolution de la pensée, de la résistance à une idée, de la conversion. Dans la vraie vie, les gens changent d'avis. Utiliser le potentiel du quali-collaboratif, c'est pouvoir analyser les évolutions à la fois du groupe et des individus qui le composent. Pour se rapprocher de la vie.

Le quali-collaboratif permet de réinventer l'expérience qualitative: se laisser surprendre pour mieux mettre à jour les chemins de traverse qu'empruntent les cœurs et les esprits de ceux qui nous font vivre– les gens –, profiter de l'intelligence et de la sensibilité collectives. Donnons lui toutes ses chances.

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