Google en une du Journal du dimanche, le système de data-surveillance Blue Crush de la ville de Memphis décortiqué par Canal+, le 20 heures (et nos mobiles) envahi par la NSA… La big data, qui semblait être un sujet d'experts marketing ou digital, est régulièrement questionnée, disséquée et débattue pour incarner de nouveaux enjeux de société mais aussi de pouvoir, économique ou politique.
En alertant les citoyens-consommateurs sur les dangers que peuvent engendrer la surexploitation et la monétisation à tout-va de leurs données personnelles, les médias – loin de rendre la data sympathique – renforcent le sentiment anxiogène d'une société devenue lucide sur les dangers d'avoir dévoilé et disséminé nombre d'informations privées un peu partout sur la Toile dans sa candeur des premières heures.
Que Netflix bâtisse son modèle marketing sur un modèle prédictif ultra ciblé est sans doute intéressant (bien que…), mais que Google lie la pertinence de ses mots-clés dans Gmail au contenu de nos messages ou que la «magie» du cookie nous propose par e-mail la machine à laver aperçue la veille sur un site marchand, il y a lieu de s'interroger. Peut-on tout se permettre en échange du modèle freemium et du fantasme de la gratuité sur le Net? Cette «gratuité» n'est-elle pas en réalité un paiement via la commercialisation de l'intime? Le Web ressemblerait-il à une autoroute sans borne de péage visible, mais avec un scanner géant placé au-dessus de nos têtes qui capterait tout ce qu'on n'a pas spécialement envie de donner, ou en tous cas pas là, tout de suite, à on ne sait qui?
Et c'est avec cette conscience populaire – encore chaotique, mais bien réelle – de la valeur de l'information et de la sphère personnelle que les entreprises et leurs agences vont devoir compter. Comment rassurer les consommateurs sur l'exploitation de ce qu'ils ont de plus «cher» dans leur vie digitale? Alors que les entreprises recherchent et cultivent la proximité avec leurs clients, «la vérité dans les yeux» sur l'exploitation et la confidentialité des données personnelles est un défi de taille. Et certaines industries, comme l'énergie ou les télécoms, sont aux premières loges. Il en va de même pour les institutions publiques.
La big data et son ancêtre, la data, ne relèveront plus seulement d'une réflexion sur les outils – qui prévaut encore trop souvent – mais d'une véritable philosophie d'entreprise. Celle-là même qui pourrait bien faire la différence dans la tête des consommateurs au moment du choix entre une marque et une autre, comme l'influencent la perception qu'ils ont de la façon dont l'entreprise traite ses salariés, sa contribution sociétale ou son respect de l'environnement (source: étude Euro RSCG C&O «Brand Extensive Value», 2011).
Dans les mois et les années qui viennent, l'utilisation de la data va sans conteste devenir un élément clé de la confiance instaurée par les marques avec leurs consommateurs. Elle va impacter la réputation des entreprises et de ses produits et devenir un sujet de communication à part entière, interne comme externe. Mais alors que l'agence de publicité l'envisage en 4x3, l'agence digitale en page Facebook, le spécialiste du CRM en segmentation RFM, etc., une approche plus stratégique, à la fois transversale et pluridisciplinaire s'imposera.
Il revient d'ores et déjà aux agences comme les nôtres d'inviter les entreprises à prendre position sur le sujet sans attendre l'outil miracle dans le «cloud» qui règlerait un problème de traitement des données, mais certainement pas celui de la politique d'entreprise sur les données. Parler de ce qu'elles font déjà et de ce qu'elles ne feront jamais, c'est une occasion unique pour elles de parler d'éthique et pour de vrai, d'arrêter le tourbillon d'une communication sur la transparence souvent illusoire pour parler de la manière dont elles considèrent vraiment leurs clients. Ce sujet de la data est une formidable opportunité de donner une âme autant qu'un univers tangible à des postures souvent usées. C'est là, à mon avis, que se joue leur raison d'être aimées ou préférées, que ce soit sur Internet, dans la rue ou en linéaire.