Je ne sais rien de Bygmalion dont j'ignorais tout jusqu'aux révélations du Point, mais les journalistes, les intellectuels et la rumeur publique ont une idée très précise des agences de communication: toutes des voleuses qui se payent sur la bête! Bras armé du libéralisme et de l'économie de marché, elles sont globalement suspectes, gagnent indûment de l'argent et sont les complices privilégiées de tous les détournements. La proximité d'une infime minorité d'entre elles avec le pouvoir politique les placent collectivement en tête des officines troubles et malhonnêtes. Elles sont donc spontanément les coupables désignés de toutes les malversations. Avec les agences de com', il n'y a jamais de fumée sans feu…
Au motif de dénoncer la cupidité de toute une profession, on dénonce ainsi des budgets acquis sans appel d'offres comme si la loi l'imposait, ce qui n'est pas le cas. On lance des chiffres «astronomiques» en pâture au public, considérant d'emblée qu'ils sont extravagants, on s'en prend aux budgets prétendument dispendieux de création de marques. On s'insurge contre les centaines de milliers d'euros consacrées au lancement d'un petit logo sans comprendre que des dizaines de personnes sont impliquées pendant des mois dans la création et le déploiement de dispositifs complexes. Une ancienne ministre défend même l'idée de ne jamais dépenser un centime pour ces questions et d'appeler la population à faire le travail pour zéro. Ministre libérale, elle ne voit rien à redire à ce que ce travail soit gratuit. La com', c'est vrai, ce n'est pas vraiment du travail…
On convoque une rhétorique poujadiste, de celle qui nous est parfois servie dans les musées contemporains et qui déprécie le travail de l'artiste: «Mon fils en fait autant!» On s'offusque que des entreprises naissent d'opportunités de business – ici, en l'occurrence, une connaissance manifeste des rouages d'un parti –, alors que l'on encourage par ailleurs l'initiative et l'entrepreneuriat dans tous les autres secteurs économiques. En termes de business, connaître des gens n'est pas nécessairement un délit dès lors que les intérêts des uns et des autres sont respectés.
Cette ignorance de la réalité de nos métiers est compréhensible. L'éventail des expertises est tel qu'il est complexe d'en apprécier la qualité sans être praticien. Mais, plus profondément, la com' est frappée du sceau de l'infamie… Parce qu'elle a, un temps – il y a quarante ans ! –, très largement vécue, nous voilà sempiternellement rangés du côté de l'argent facile et de la superficialité.
Alors qu'on s'enflamme à raison sur l'économie de l'immatériel et sur le made in France, on oublie que les marques et la communication sont des investissements vitaux et des leviers de valeurs majeurs. Moyennant quoi, nombreux pensent encore aujourd'hui qu'il vaut mieux être pianiste dans un bordel que travailler dans la com'! Le tous-pourris est une pensée simpliste qui fait le lit des idées nauséabondes qui vont avec.
Je ne sais rien de Bygmalion et du procès par procuration d'un homme politique assez loin de ma sensibilité. Mais je trouve paresseux d'entretenir éternellement les clichés d'une profession toute entière pour étayer une argumentation critique. Si les malversations s'avèrent, elles n'auront pas à voir avec l'objet social de l'entreprise qui les aura commises, mais bien avec des gens qui la dirigent.
Je n'ai jamais connu l'âge d'or et les croisières pharaoniques des années 1970 alimentées par l'argent des médias. J'ai toujours exercé ce métier dans un contexte de crise où chaque client se conquiert et se fidélise à force de créativité et d'exigence. Malgré ce contexte difficile, la France, qui représente 2% du PNB mondial, occupe la première et la cinquième place des groupes de communication internationaux. Il serait plus juste et plus positif de le rappeler et d'encourager cette industrie créative plutôt que de saisir n'importe quelle occasion de la jeter avec l'eau du bain.