En ce début 2014, moment privilégié pour donner un coup d'œil dans le rétroviseur et pour essayer de repérer des tendances significatives de l'année écoulée avec un peu de recul, j'ai voulu essayer de répondre à une question quasi existentielle qui taraude tous les professionnels de la synchro: comment la crise a-t-elle touché les stratégies d'utilisation de la musique dans les bandes-son des campagnes publicitaires des annonceurs?
On distingue traditionnellement deux stratégies principales: celle de «l'air du temps» consiste à choisir des jeunes artistes «en développement», peu ou pas connus; celle de la «mémoire collective» qui récupère/recycle des standards. La crise et son corollaire, l'optimisation nécessaire de l'euro investi, brouillent les cartes, rendent le décryptage difficile et prudent, car coexistent des comportements souvent contradictoires.
En effet, certaines marques considèrent la musique comme une valeur ajoutée statutaire («les standards du standing») et certains secteurs peuvent se livrer a une concurrence/surenchère féroce en matière de codes musicaux, en jetant leur dévolu sur des artistes iconiques et des titres «premium» prestigieux (quand Dior dégaine un Whole Lotta Love de Led Zeppelin, la barre est haute, comment faire aussi fort?). D'autres, à l'inverse, par pragmatisme budgétaire et/ou par volonté de coller à l'époque, choisissent plutôt de jeunes artistes prometteurs (Jabberwocky pour Peugeot).
Quand on s'intéresse de près au corpus des nouvelles musiques préexistantes des publicités diffusées à la télévision en France en 2013 (environ 250 titres), et si l'on excepte le classique (6%), intemporel par définition, on constate que 50% des musiques utilisées sont récentes, postérieures à 2010. La décennie 2000-2009 est la deuxième période mise à contribution (16,5%). Ainsi, deux tiers des nouvelles musiques de pub diffusées en 2013 sont de ce millénaire. Les musiques d'avant 1970 représentent 13,3%, les «seventies» (1970-1979) 4,8%, les «eighties» (1980-1989) 5% et les «nineties» (1990-1999) seulement 3,6%.
La grande surprise tient à la surreprésentation des musiques actuelles, car on avait plutôt l'intuition que les comportements de crise avaient tendance à amplifier le repli nostalgique rassurant sur «la valeur sûre». Ensuite, et d'un point de vue d'efficacité stratégique, on peut s'étonner de constater que les nineties (grunge, indie rock, trip hop, acid jazz…) soient clairement la période délaissée alors que pour toucher les yuppies 2.0 (actifs, décideurs de 35-40 ans), c'est pourtant le choix générationnel par excellence, dans la mesure où ce sont les musiques affinitaires qu'ils écoutaient/aimaient entre 15 et 20 ans. Ces musiques là auraient plus mal vieilli que d'autres (pourtant, de bons vieux Nirvana, Pixies ou Portishead…).
Curieusement, les eighties, période reine, mère de tous les «revivals» musicaux de ces dernières années, a un poids bien plus faible que sa cote nostalgique. On aurait pu penser que le poids des musiques des «noughties» (2000 et plus) viendrait des campagnes internationales: il n'en est rien. Il est intéressant de constater que cette répartition par décennies est strictement la même si on s'intéresse cette fois aux seules publicités d'initiative française (56% des 250 musiques de 2013).
Vous me direz, le secteur de la musique devrait logiquement se réjouir de cette prépondérance des musiques «dans l'actu» et de l'exposition ainsi procurée par la publicité. Mais on se doit de tempérer ce bilan quasi idyllique par un bémol de taille car, pour quelques coups de pouce objectifs (Lily Wood, Edward Sharpe, Elephanz, Capital Cities, Jabberwocky, Hollisiz…), combien de coups d'épée dans l'eau avec des choix de musiques «one shot» interchangeables, sans réel potentiel et dans un mauvais timing?
Bref, pour parodier Godard: «Juste une musique, mais une musique juste.» Autrement dit, «choisissez bien, choisissez juste».