Showroomprivé.com a obtenu, le 28 novembre 2013, devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris la nullité pour défaut de caractère distinctif de la marque «venteprivee.com», détenue par sa grande rivale sur le front commercial et leader du secteur. Ce jugement met-il en péril la société Vente-privee.com? Quelles en sont les conséquences pour toutes les entreprises de l'ère numérique dont la dénomination comporte seulement les mots-clés de leur activité?

Les mots-clés se sont imposés comme les pépites d'or de l'économie numérique en raison du rôle déterminant des moteurs de recherche, faisant de la pertinence de la marque au regard des mots-clés recherchés par l'internaute un critère important.

Or, le rôle de la marque est d'interdire aux concurrents d'utiliser un terme déposé, parce que ce terme renvoie pour la clientèle à une entreprise déterminée, mais non de réserver au bénéfice d'une seule entreprise un terme nécessaire ou usuel dans le secteur. Il peut être évocateur mais doit rester distinctif.

L'article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que «le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractère distinctif (…) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service (…)

C'est dans ce contexte que le tribunal de grande instance de Paris a annulé la marque française «vente-privee.com» déposée en 2009, pour une partie de ses services, en considérant que «(…) les termes “vente privée” constituaient en 2009 un terme nécessaire pour désigner un service de ventes particulier consistant à offrir lors d'événements limités dans le temps et à un public restreint, parrainé, des produits de marques en nombre limité résultant d'un déstockage. Le fait d'adjoindre la désinence “.com” à la suite de ces deux mots privés de leur accentuation indique seulement que le service de ventes privées est offert en ligne et non dans des boutiques; tout public de consommateurs savait en 2009 ce que signifiaient les différents signes “.com”, “.fr” et autres désinences.»

Le TGI ajoute que cette entreprise «(…) n'a aucune légitimité à monopoliser à son seul profit les termes “venteprivee.com” à titre de marque et à priver ses concurrents de l'usage de ces mots sauf à introduire une distorsion dans les règles de libre concurrence et à générer un contentieux inutile».

Il faut toutefois relativiser les conséquences pour la société Vente-privee.com: tout d'abord, cette annulation ne porte que sur une partie des produits et services de son dépôt, tandis qu'elle est toujours valable pour d'autres (produits dérivés, formation, etc.). De toute façon, une telle annulation ne la contraint pas à changer de nom car chacun est libre de faire usage des termes qu'il souhaite, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits d'autrui ou à des règlementations spécifiques.

L'annulation de la marque l'empêche schématiquement d'interdire aux tiers de faire usage de ces termes pour les services de vente en agissant en contrefaçon de marque, action particulièrement redoutable. Elle continue à disposer de sa dénomination sociale, son nom commercial et ses noms de domaine, par ailleurs reconnus notoires dans un jugement d'une autre chambre du même tribunal du 6 décembre 2013, dans un contexte différent mais qui pourrait poser un problème de cohérence.

Le jugement du 28 novembre 2013 se place dans un courant visant à circonscrire le droit des marques dans son strict périmètre. Il pose la question de la pérennité de la «marque mots-clés» et de la stratégie adéquate pour devenir incontournable sans risquer une annulation. C'est la cour d'appel de Paris qui va désormais trancher, mais cette affaire rappelle que le choix d'une marque est une stratégie complexe, parfois de l'ordre du billard à trois bandes, dont l'aspect juridique est crucial.

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