Il n'y a pas de performance sans envie, car l'envie est un désir qui inspire la volonté d'agir, alimente le besoin de s'engager et donne à un collectif l'énergie d'entreprendre. Pourtant, au nom de la performance qu'elle est censée servir, la communication détruit l'envie des salariés.
Aujourd'hui, grâce ou à cause de la puissance du digital, tout va vite, trop vite parfois. Une information chasse l'autre et leur «durée de vie» est de plus en plus courte. Obsédées par la nécessité d'occuper le terrain rapidement pour faire face à tout ce qui se raconte dans les médias et sur la toile, les entreprises confondent communication et information. Elles oublient que leurs salariés internautes, victimes «d'infobésité» ont du mal à faire le tri et à se protéger émotionnellement d'une actualité polarisée sur les événements négatifs fussent-ils sans lendemain.
Communiquer avec ses salariés implique davantage qu'un échange rapide d'informations. Ce n'est pas le dialogue qui détériore le climat émotionnel d'une entreprise, c'est bien l'absence de dialogue. Ce n'est pas l'expression des émotions négatives qui détruit l'envie, c'est le couvercle que l'on pose dessus. La communication est un puissant levier d'envie, mais à une seule condition, substituer aux «diffuser rapidement à...», le «prendre du temps pour parler avec...».
Pour cela, acceptons une idée simple: la fonction première d'un manager n'est pas d'être une courroie de transmission qui relaie sagement des messages et remonte avec discipline des informations. La valeur ajoutée d'un manager est de transmettre des convictions et l'envie qui va avec. Arrêtons de produire des kits perroquets, des argumentaires prêts à l'emploi, des Q&A prêts à utiliser. Au nom de la bataille de la vitesse, nous perdons la bataille de l'intelligence et sans même s'en rendre compte, nous produisons du «prêt-à-penser», destructeur de convictions. C'est ainsi que l'on assiste à des situations surréalistes où les managers ânonnent sans conviction devant leur équipe le même discours que celui qu'ils ont subi et finissent leur intervention par cette phrase protectrice qui ferme tout débat: «Vous n'avez pas de questions?» Quant aux moins courageux, à moins qu'il ne s'agisse des plus malins, ils photocopient avec application les documents en question et les distribuent ensuite à leurs collaborateurs.
Imprécis pas de deux
Il est castrateur de vouloir confiner les managers dans un rôle de répétiteur car pour être convaincants, il faut qu'ils soient convaincus. Cette conviction ne se décrète pas. Elle se fabrique avec eux, en leur permettant d'exprimer ce qu'ils ressentent face aux discours de leurs dirigeants, ce qui les inquiète ou ce qu'ils trouvent injuste afin de dépasser leur peur et leur colère. Il faut ensuite réactiver leur désir, en les laissant exprimer ce qui leur donne de l'espoir, ce qui leur procure du plaisir. Alors et seulement alors, ils peuvent se réapproprier le discours quitte à le trahir un peu. Ce qui est important, ce n'est pas la précision mécanique du message mais l'enthousiasme avec lequel on le partage. Car si l'intention des managers est bonne, leur communication l'est aussi.
Tous les communicants le savent, autant qu'ils le redoutent. Et dans un pas de deux imprécis, veulent libérer l'expression tout en continuant à la contrôler. C'est sur ce paradoxe que se bâtissent bon nombre de stratégies de communication, des stratégies qui veulent favoriser les remontées d'information du terrain et les filtrer, donner la parole aux salariés et la censurer, permettre à chacun de donner son avis sur l'intranet et modérer les propos mis en ligne, laisser s'exprimer les vraies questions et ne retenir que celles qui permettent à la Direction générale de faire passer son message...
Quand les entreprises traversent des périodes économiquement et socialement difficiles, leur reflexe premier est aussi de réduire les temps d'expression car le temps est prioritairement consacrée à l'action. Elles suppriment ainsi toutes les occasions de rencontres et d'échanges qui maintiennent la cohésion alors qu'elles devraient les encourager. Il ne s'agit pas d'être dispendieux dans la forme des rencontres, seulement exigeant dans le contenu qu'elles abordent et dans la posture de dialogue qu'elles nécessitent.
Ce dont a besoin un individu pour retrouver l'envie, lorsqu'il traverse une période de doute ou qu'il est confronté à des incertitudes, c'est justement de sentir qu'il appartient à une communauté, une communauté où les choses sont dites, où l'on se parle. Parce que l'expression redonne du sens collectif et permet à chacun de se sentir moins seul. Pour faire de la communication un générateur d'envie, il faut à nouveau encourager toutes les formes ouvertes de discussion et de débats pour que se régulent les opinions, se forgent collectivement des convictions qui donnent du sens et se partagent des d'émotions qui créent du lien.