Quinze ans après le «black-blanc-beur» de la Coupe du monde 1998, la France serait-elle devenue raciste? Les médias ont tardé à affronter cette question après les insultes indignes proférées à Angers par une fille de douze ans à l'encontre de Christiane Taubira («la guenon, mange ta banane»), le 25 octobre. «La nouveauté, ce n'est pas la banalisation des propos racistes, c'est la circulation par Internet qui leur ouvre un espace», note le sociologue Michel Wieviorka, dans Libération.
Pourtant, la sortie, le 17 octobre dans Envoyé spécial, d'une candidate FN aux municipales assumant d'avoir publié sur Facebook une photo comparant la ministre de la Justice à un singe montre que le racisme ne se cantonne plus à quelques dérapages isolés repris sur Internet. «La France devient-elle raciste?», titrait Le Parisien le 6 novembre.
Pour Christiane Taubira, ces incidents viennent «très clairement d'inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent», a-t-elle dit dans Libération.«Ce qui me chagrine, c'est le fond de racisme qui résiste au temps et aux mots d'ordre, pas seulement au sein du FN, mais au plus profond de la société française», souligne de son côté Harry Roselmack, le présentateur de 7 à 8 sur TF1, dans Le Monde. Mais si une infime minorité ne craint plus d'afficher ses idées nauséabondes, peut-on en déduire que les Français sont racistes? «En chaque Français sommeillerait donc un xénophobe qui s'ignore!», ironise Marianne.
Inégalité
Un sondage BVA/I-Télé réalisé les 7 et 8 novembre auprès de 1 040 personnes répond imparfaitement à cette question: 57% estiment ainsi que la France est un pays où le racisme a gagné du terrain depuis une dizaine d'années. Mais, comme le note Gaël Sliman, directeur général adjoint de l'institut de sondages, «il est difficile de savoir si ce sentiment de hausse correspond à une hausse réelle du racisme dans notre pays ou si, au contraire, il correspond à une baisse de celui-ci», liée à «une ostracisation encore plus forte qu'avant des attitudes et comportements racistes», notamment chez les sympathisants de gauche (75%).
En réalité, les immigrés ou les gens d'origine étrangère ne sont pas égaux devant un racisme diffus. Si les Français considèrent que l'intégration des populations d'origine européenne ou asiatique se passe bien (81% et 83%), ils sont plus partagés s'agissant des immigrés d'origine africaine (46% considérant qu'ils s'intègrent bien, 8 points de mieux depuis 1985). Quant aux immigrés d'origine nord-africaine – et leurs descendants –, trente ans après la «marche des beurs», ils sont encore victimes d'un regard défavorable, 30% seulement jugeant ainsi qu'ils s'intègrent bien (–2 points depuis 1985).
Un sondage CSA pour le Service d'information du gouvernement montrait déjà, en décembre 2012, que la montée de l'intolérance s'observe surtout depuis 2010 (69% trouvant qu'il y a trop d'immigrés en France, +22 points par rapport à 2009). Et que les victimes de cette défiance sont d'abord les musulmans, 55% estimant qu'ils forment «un groupe à part» dans la société (+11 points).