Le Jury de déontologie publicitaire est pavé de bonnes intentions. Il n'est pas le seul. On sait où ça peut mener. Il ne s'agit pas nécessairement de s'élever contre l'autodiscipline qui appartient tellement à l'air doux de notre temps ni contre son extension procédurale, la déjudiciarisation, alors que les juges eux-mêmes cherchent si souvent à ne plus juger, à coup de médiation, de conciliation, de transaction, de plaider coupable, de droit collaboratif, tout ce qu'on appelle du joli nom de "modes alternatifs de résolution des conflits". En soi, les concepts sont excellents. On règle ses affaires de famille en famille plutôt que de les livrer à un public généralement mal averti. On privilégie l'adhésion à la contrainte, la discussion au conflit, la simplicité à la complexité. On évite des interventions inopinées du législateur ou des procédures longues, coûteuses et incertaines. C'est parfait. Ou presque...
Parce qu'avec tous leurs défauts, les systèmes législatif et judiciaire sont la traduction des principes séculairement considérés comme des piliers essentiels de notre démocratie. Citons pour mémoire, et parmi d'autres, le droit de savoir ce dont on est accusé, le droit de connaître son accusateur, le droit de connaître les règles légales applicables à la poursuite, le droit à un double degré de juridiction... Il est utile que ces principes ne soient pas sacrifiés sur l'autel new age des solutions pacifiées de règlement des conflits, comme la médecine ne peut s'effacer derrière les médecines alternatives ou la gastronomie derrière les régimes dissociés. En tout cas pas sans un minimum de précautions.
L'application des seules règles déontologiques dans des procédures de cette nature est nécessairement dangereuse. Elles n'ont pas été pensées pour cela et il est manifeste en tout cas que leurs auteurs n'ont pas perçu les conséquences qu'elles pourraient avoir dans ce type de circonstances. Un exemple: une marque d'automobile réalise une campagne présentant des personnes en situation inconfortable dans les transports en commun. Aucune réaction de la RATP ou d'une autre entreprise de transport urbain qui aurait pu y voir un dénigrement. Cependant, plainte (anonymisée) auprès du JDP pour manquement à la recommandation sur le développement durable, et sanction du constructeur.
Ainsi, toute attaque des transports en commun devient impossible par la seule volonté du JDP en application d'une recommandation évidemment non prévue pour cela et au mépris des règles de la concurrence, des enjeux économiques pour les constructeurs automobiles. Sans même évoquer le fait que la campagne critiquée ne portait à aucun moment et d'aucune façon sur le développement durable. Du recours à la déontologie on pouvait espérer du bon sens, pas du non-sens.
Les exemples peuvent être multipliés et il suffit de se télétransporter sur le site du JDP où ils sont exposés sans complexe. Sans complexe également, le pavé présent en page d'accueil invitant les internautes à "se plaindre d'une publicité" (il suffit d'un clic) en précisant "Merci de votre participation à la régulation de la publicité qui est l'affaire de chacun". On est toujours sûr d'avoir du succès en appelant à la délation - surtout si elle est délicieusement parée des couleurs du civisme.
Lorsque le président de l'AACC sollicite une refonte de la composition du JDP, il a raison. Lorsqu'il sollicite que soit mise en place une procédure d'appel, il a encore raison. Mais ces mesures ne seront pas suffisantes. A quoi servira une procédure d'appel si elle soumise aux mêmes règles que la procédure de première instance? Le choix d'autres personnalités au sein du JDP ne changera ni les règles, ni le fonctionnement de l'institution.
Si le sujet doit être véritablement traité, qu'il le soit complètement et que soient notamment résolus les points suivants: quel rôle respectif pour les règles déontologiques et les règles de droit? Quelle réécriture s'impose pour les règles déontologiques? Quelle indépendance du JDP par rapport à l'ARPP dont il est l'émanation et dont il partage les installations physiques et virtuelles, qui y tient un rôle évoquant celui du procureur dans les affaires civiles et qui est le premier à s'insurger lorsqu'une victime du JDP a l'audace de vouloir saisir une juridiction pour faire respecter ses droits?
Ce pourrait d'ailleurs être l'occasion de réfléchir à l'accumulation des rôles de l'ARPP, qui cumule plus de casquettes qu'un coureur du Tour de France des années 1960 en étant à la fois conseil sur les campagnes qui lui sont soumises, juge lorsqu'il s'agit d'accorder les visas réclamés par les chaînes de télévision, et maintenant procureur dans le cadre du JDP dont il a préalablement instruit le dossier. Il est assez peu probable que ce cumul (conseil, juge d'instruction, procureur, juge. Bientôt Garde des Sceaux?) - qui ne semble pas choquer un monde qui se soucie tant de déontologie - existe dans aucune autre institution d'un régime démocratique.