Après la saga Google Adwords en matière de liens commerciaux, la Cour de cassation a pris position pour la première fois sur la responsabilité du moteur de recherche en matière de suggestions injurieuses proposées aux internautes via son outil Google Suggest. Rappelons que cet outil vise, au moyen d'algorithmes, à faciliter la navigation sur le Web en proposant à l'internaute, au regard de la requête saisie, même incomplète, des termes associés, en fonction de l'historique de ses propres requêtes, mais aussi des recherches les plus populaires et des contenus des pages Web indexés par Google.

Ce «simple» procédé technique est-il susceptible d'engager la responsabilité de Google, lorsqu'une suggestion proposée est constitutive d'une infraction pénale et, notamment, lorsqu'elle porte atteinte à la réputation d'une personne ou d'une société? Telle était la question soumise à la Cour de cassation.

Dans l'affaire en cause, la société Lyonnaise de garantie, société d'assurance professionnelle immobilière, avait constaté que, en saisissant l'intitulé de sa raison sociale dans la fenêtre de requête du moteur de recherche, les termes «lyonnaise de garantie escroc» apparaissaient au troisième rang des suggestions proposées aux internautes par Google en France, en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie et au Canada. Elle avait mis en demeure la société Google Inc. de supprimer la suggestion incriminée. En l'absence de réponse, elle a assigné le moteur de recherche ainsi que le directeur de la publication pour injure publique sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et sollicité la suppression des termes litigieux sous astreinte ainsi que la réparation du préjudice subi à hauteur de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Par décision en date du 14 décembre 2011, la Cour d'appel de Paris, confirmant ainsi le jugement de première instance, a retenu la responsabilité de Google Inc. et l'a condamné à verser à la société Lyonnaise de garantie un euro symbolique à titre de dommages et intérêts. En effet, les juges du fond ont considéré que, dans la mesure où «un tri préalable pouvait être effectué entre les requêtes enregistrées dans la base de données», ce que reconnaissait la société Google Inc. s'agissant de contenus pornographiques, violents ou incitant à la haine raciale, une «intervention humaine propre à éviter les dommages les plus évidents liés aux fonctionnalités en cause était possible».

La faute à l'algorithme

Ceci étant jugé, la Cour d'appel a considéré que le terme «escroc» était outrageant envers la société Lyonnaise de Garantie, que le caractère public de l'injure ne faisait aucun doute et que la diffusion incriminée avait eu lieu en parfaite connaissance de cause des prévenus (à savoir Google Inc. et le directeur de la publication du site), la suggestion injurieuse n'ayant pas été supprimée après la mise en demeure.

Devant la Cour de cassation, Google a soutenu que la suggestion injurieuse n'était que le résultat de la mise en place, sur le moteur de recherche, d'un algorithme permettant de déterminer les requêtes les plus fréquentes, ce qui excluait toute volonté de sa part d'émettre les propos en cause. Cette argumentation a convaincu la Cour de cassation. En effet, dans un arrêt en date du 19 juin 2013, la Haute juridiction a considéré que l'outil Google Suggest «est le fruit d'un processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats, de sorte que l'affichage des mots clés qui en résulte est exclusif de toute volonté de l'exploitant du moteur de recherche d'émettre les propos en cause ou de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seul fonction d'aide à la recherche».

Juridiquement, cette décision peut sans doute s'expliquer par l'idée que, pour la Cour de cassation, l'automaticité de l'outil exclut l'élément intentionnel nécessaire à la caractérisation de l'infraction pénale d'injure publique. En pratique, la solution de la Cour de cassation complique sérieusement la protection de l'e-réputation des entreprises et de leurs dirigeants.
En effet, il semble désormais difficile d'engager la responsabilité de Google en raison de suggestions illicites proposées via cette fonctionnalité, que ce soit sur le fondement de l'injure publique ou celui de la diffamation (cf. Cour de cassation, première chambre civile, 19 février 2013, Pierre X / Google Inc. et autres).

Afin d'éviter le débat sur le terrain des infractions de presse, certains plaideurs ont tenté d'utiliser les dispositions de la Loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 et ont soutenu que le refus de suppression de leur nom au sein de la suggestion litigieuse serait constitutif d'un traitement illicite de données personnelles. Mais une récente décision du tribunal de grande instance de Paris a confirmé la «quasi-irresponsabilité» du moteur de recherche quant à son outil Google Suggest en jugeant que cet outil ne répondait pas à la définition légale de «fichier» «dès lors que les mots qui sont suggérés ne présentent pas les caractères de stabilité et de structure imposés par le texte» (cf. TGI de Paris, 12 juin 2013, Les Editions R./Google).

Toutefois, l'histoire n'est peut être pas terminée: la Cour d'appel de Versailles, devant laquelle l'affaire «Lyonnaise de Garantie» a été renvoyée, peut s'opposer à l'analyse de la Haute juridiction en écartant, à l'instar des décisions rendues à ce jour par les juges du fond, la neutralité revendiquée par le moteur de recherche.

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