Plus personne ne s'oppose «en théorie» à la transformation digitale de l'entreprise. On peut la penser souhaitable, inévitable, inéluctable; on peut la redouter ou l'espérer; il n'est en revanche plus possible de la penser «évitable». Et pourtant, un sondage réalisé par Opinion Way pour le compte de l'Innovation Factory semble démontrer le contraire: 66% des dirigeants ne pensent pas souhaitable de sensibiliser leurs cadres aux outils digitaux et à leur potentiel. «Inconscience», «optimisme», peur du changement ou «cécité», j'ai beaucoup hésité sur l'interprétation à donner à ce chiffre et conclu que ces différentes raisons se combinaient sans doute.

La transformation digitale des entreprises n'est donc pas un long fleuve tranquille, tandis que les usages numériques des consommateurs poussés, stimulés par celui des «digitale natives», progressent de façon exponentielle et naturelle. Cette divergence explique pour une bonne part le «retard numérique de la France», cinquième puissance économique mondiale mais seulement... vingt-deuxième économie numérique. Cela signifie sans doute que d'autres nations ont su collectivement trouver les accélérateurs et réduire les freins au changement.

Tous les agents politiques et économiques sont aujourd'hui convaincus (et c'est un grand progrès!) du cap, mais ils hésitent encore sur les moyens à mobiliser et sur le rythme des changements à accomplir. Je n'ai pas la prétention de définir dans le cadre de cette tribune le modus operandi d'une digitalisation réussie. Mais un mot résume certaines de mes convictions, instruites par quinze années d'observation des avancées, reculs et stagnations. Ce mot est «POP»: people, organisation, persévérance.

P comme people. Pour «faire du digital», il faut une bonne combinaison entre stratèges, managers et experts. Comme au rugby, une équipe ne peut être composée seulement de «gros», de «grands» ou de «petits». Les stratèges voient le changement, le modélisent et donnent le tempo. Quant aux managers intermédiaires, ils sont les agents de la transformation au quotidien, de la conduite des hommes et des femmes qui l'initieront et de l'évangélisation des équipes homologues. Enfin, aux experts la fonction d'innovation, de rupture et de conceptualisation des outils; produire du digital «sans expert du digital» - comme le souhaitait le patron marketing d'une grande maison de disques - est selon moi comme cuisiner une sauce sans épices.

O comme organisation. Il n'y pas pour «faire du digital» d'organisation «idéale» et parfaite qui s'imposerait en tout temps et pour toutes les entreprises. Il y a en revanche des principes d'organisation qui, par leur application durable et modérée, permettent au digital de monter en puissance sans abîmer les autres directions ni s'attirer leurs foudres. J'ai trop connu depuis le début des années 2000 dans les médias et le commerce ces violents coups de volant qui isolent le Web en le séparant de toutes les autres activités avant de le dissoudre au sein de l'organisation sans lui permettre d'assurer ses prérogatives. Sauf moments particuliers - la SNCF par exemple eu raison de filialiser en 2002 Voyages-sncf.com -, les positions extrêmes sont à proscrire, le pire est encore de passer sans coup férir d'une position à une autre.

P comme persévérance. Pour «digitaliser» une organisation, a fortiori quand celle-ci est grande, il faut de la persévérance, de l'opiniâtreté, de la résilience... Il est nécessaire de «connaître» mais aussi de «faire connaître», d'évangéliser. Ce qui suppose du temps, des moyens et de la patience. De même, on ne forme pas un étudiant au digital en un jour et les formations les plus valables seront - qu'elles soient gratuites ou payantes, diplômantes ou non - celles qui prévoient un cursus long, polyvalent et global.

En somme, la digitalisation est comme un liquide qui se répand à l'intérieur d'un organisme: il ne le purifie pas, il l'alimente; tantôt le liquide s'accumule, prend forme et se concentre là où il est le plus nécessaire, tantôt, il nourrit les organes fonctionnels. Et c'est la tête - celle de l'Etat ou de l'entreprise - qui dirige la manœuvre tout en «écoutant les reins et les cœurs» pour que le mouvement soit collectif, partagé et le plus rythmé possible!

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