Tribune
Difficile de faire respecter le droit à la déconnexion à l'heure où personnel et professionnel se mêlent sur les téléphones des salariés. Il est temps que les entreprises le prennent comme un devoir et interdisent l'envoi de messages en dehors des heures de travail.

Il y a quatre ans, la très controversée loi El Khomri introduisait une notion unique au monde, le «droit» à la déconnexion. Il est écrit qu’«en dehors de ses heures de travail, tout salarié n’est pas tenu d’être en permanence joignable par son employeur». Certains ont vu dans cette annonce une avancée sociale majeure offrant un droit unique aux salariés: quel privilège de ne pas devoir être disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7! Régulièrement, les rapports RSE de grandes entreprises rappellent ce «droit» érigé en rempart à la pression et au mal-être au travail.

La réalité est malheureusement beaucoup plus sombre. La Covid-19 et les outils de messagerie mobile ont tout simplement fait voler en éclats un droit déjà précaire. Si un N+1 envoie un e-mail le dimanche matin à un salarié, ce dernier n’est pas tenu d’y répondre le jour même. Pourtant, son mobile est configuré de telle sorte (notifications, messageries agrégeant les comptes personnel et professionnel) qu’il lira ce message instantanément. Au mieux, il pensera à cet e-mail pendant son jour de congé et il occupera certainement une place dans son temps de loisirs. Au pire, il se sentira obligé d’y répondre pour montrer à son manager qu’il est tout aussi concerné que lui par les sujets professionnels, soirs et week-ends compris.

Ce qui est vrai avec les e-mails l’est plus encore avec Slack, Teams et les autres messageries instantanées qui génèrent pression et stress chez les collaborateurs à un moment qui leur est pourtant réservé. Ce droit est définitivement bafoué quand le manager s’invite sur le WhatsApp du salarié. Comment feindre la non-réception d’un message envoyé par son manager alors que ledit message est en bleu ?

Le non-respect des plages horaires de travail ne concerne pas uniquement les dirigeants et salariés. C’est un réflexe de plus en plus fréquent entre les membres d’une même équipe. Il ne part généralement pas de la volonté de faire travailler ses collaborateurs en dehors des heures de travail mais du besoin de se décharger mentalement, pour ne plus y penser, sans réaliser que cette charge qui nous incombe, nous la transmettons à notre destinataire.

Un devoir qui incombe à l’employeur

Ces dérives viennent confirmer que ces outils, que nous considérons comme des « avancées » technologiques nous permettant de gagner en productivité, peuvent – s’ils sont mal utilisés – favoriser l’asservissement au travail et nourrir notre stress. Alors oui, chaque salarié a la possibilité de désactiver ses notifications, de ne pas utiliser son ordinateur de travail pour des besoins personnels, de ne pas activer sa boîte mail pro sur son portable perso. Mais, même avec tous ces « remparts », le problème reste le même. Si un manager ou un membre de l’équipe adresse à un salarié des demandes en dehors de ses heures de travail, ce dernier voudra prouver son investissement et se sentira coupable de ne répondre « que » le lundi.

Aujourd’hui, la quasi-totalité des messageries et autres clients mails proposent de programmer ses messages pour les rédiger à un instant T et les envoyer à un moment propice pour le salarié. Ce ne sont plus les salariés qui doivent être autorisés à se déconnecter. Ce droit à la déconnexion doit devenir un devoir qui incombe à l’employeur. Notre rapport au travail n’en sera que plus sain et nous serons ainsi individuellement plus performants pendant nos heures de travail.

Si le droit à la déconnexion est à oublier, il est urgent que les entreprises le traitent comme un devoir. Le Portugal l’a d’ailleurs bien compris en votant début novembre une loi interdisant aux patrons de contacter leurs employés en dehors du travail. Il serait merveilleux que la France lui emboîte rapidement le pas.

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