Renoncer au conformisme qui ennuie et condamne demande de l’humilité, de la lucidité et du courage. Il est temps d’en faire un combat.
Faire comme les autres, c’est humain. C’est Sapiens même. Il y a quelques dizaines de milliers d’années, se conformer au groupe relevait de la survie. Cela n’a pas tant évolué depuis. Se fondre dans la masse, adopter les mêmes codes, les mêmes comportements, les mêmes croyances, suivre sans broncher comme des fourmis bien ordonnées ? Rassurant. Ne pas avoir à se demander ce que l’on est, ce que l’on veut, ce que l’on peut ? Confortable. Le problème, c’est que le conformisme ennuie, endort et condamne. Il faut trouver le courage de renoncer au confort du conformisme. Nous sommes bien placés pour en parler : notre industrie s’adapte à des changements structurels externes – révolution numérique, IA… – mais ne change pas tant que cela. Combien de fois entendons-nous « Je voudrais une campagne à la Intermarché ou à la Burger King » ? Trop de fois. Autant de fois que de scores d’attribution minimum et d’indifférence totale. L’imitation ne paie pas. Surtout pas dans un monde aussi bruyant. D’un côté, on admire ceux qui ont osé changer la com de leurs secteurs, de l’autre, on s’empresse de faire comme eux. Contradiction totale. Nous sommes passés par là nous aussi. Pour devenir « une agence de pub », on a fait « comme les agences de pub ». Imiter les grands n’a fait qu’une chose : montrer que l’on était petit. Morale de l’histoire : on n’existe pas en faisant comme les autres.
Alors on fait quoi ? On conteste ? C’est indispensable. En interrogeant le présent, le contre-pouvoir fait avancer. Il laisse entrevoir d’autres possibles et d’autres imaginaires. « On n’arrête pas un mouvement d’idées sans échauffer les esprits, et la chaleur, à son tour, produit du mouvement », disait Anatole France. Le problème ? La rébellion n’est qu’éphémère. Elle crée le doute, la prise de distance. Pas plus. On en a vu des provocations dans nos métiers. On a ri de tant de culot. Et on a vite oublié. Personne n’en sort gagnant. Pas Reebok qui tapait sur Nike pour vanter ses Pump dans un hilarant concours de saut à l’élastique, pas Leclerc vs Lidl vs Leclerc vs Lidl (on ne sait plus qui)… L’expérience nous montre que se positionner en anti ne construit rien.
La tentation du « c’était mieux avant »
Plus largement, regardez comme les oppositions s’enlisent, nous figeant dans des crispations paralysantes, dans les rues, nos urnes, nos posts. Les clans se durcissent, les esprits s’échauffent, les opinions se radicalisent faisant le lit d’une montée des extrêmes inédite et nourrissant une machine à créer de la haine. Le constat est là, glaçant, criant sur nos écrans, débordant dans les médias : la société est plus polarisée, le monde plus divisé, que jamais. Enfermés dans nos algorithmes personnalisés, nos bulles informationnelles et nos boucles conversationnelles, nous devenons incapables de changer le cours de nos pensées et de nos opinions.
Résultat ? L’énorme tentation du « c’était mieux avant » pas partagée par quelques anciens mais par près de deux Français sur trois selon Ipsos. Triste constat car le retour en arrière n’offre aucune option : il ne va ni dans le sens de l’histoire, ni dans le sens de la vie. Il contredit le mouvement dont nous avons besoin.
Nous voilà bien, coincés dans une phase adolescente où l’on regrette l’enfance insouciante sans se sentir prêt à devenir adulte. Sortir des conformismes qui nous enferment : un acte d’humilité, de lucidité et de courage. Sortir de l’adolescence demande de s’affranchir (le mot est important) de ce que l’on a imité – l’enfance –, puis rejeté – l’adolescence –, de casser le cercle vicieux de la dualité pour s’émanciper. Ayons l’humilité de reconnaître que nous ne savons pas pour être prêts à tout changer.
Dix ans que l’on entend certains nous dire que les consommateurs ne vont pas comprendre, qu’ils savent dur comme les logiciels d’analyse ce qu’ils veulent, quitte à les caricaturer. Commençons par ne pas les appeler « les consos », ce sera un bon début. Comprenons les pères, les mères, les ados, les profs, les élèves, les grands-mères, les sportifs, les motards… On en croise plus souvent dans la rue. Les gens sont plus ouverts, plus drôles, plus impliqués et plus intelligents qu’on ne le laisse entendre. A-t-on vraiment besoin de médiatiser des études qui prouvent que les gens aiment l’humour et que la créativité fait vendre. Un peu de bon sens suffirait. Arrêtons de les prendre, donc de nous prendre, pour des conservateurs qui ne se plaisent que dans l’habitude. Arrêtons également de dire que les agences sont hors sol. C’était peut-être vrai dans les années quatre-vingt quand l’argent et le champagne coulaient à flots et que le métier ne concentrait qu’une élite. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Montrons de l’intérêt et du respect pour les gens et pour nos métiers en faisant l’effort de comprendre, de divertir, d’intéresser.
Ayons la lucidité de nous regarder bien en face pour ce que l’on est. Soyons à peu près conscients de nos forces et faiblesses, de ce que l’on peut atteindre et apporter. Ne promettons pas de changer le monde à coup de purpose stratosphérique mais jouons un rôle dans la vie, aussi petit soit-il. Contribuons un peu à divertir, à faciliter la vie, à sensibiliser à des sujets sociétaux. Ayons le courage d’ouvrir une voie ambitieuse.
Le monde d’aujourd’hui n’est pas fait que de conformistes ronronnants et de rebelles anticonformistes, négatifs photo des premiers. Il est composé d’individus, contributeurs d’un ensemble, qui savent faire mieux qu’imiter comme une IA, mieux que contester comme un extrémiste : qui savent créer. Nous savons qu’il suffit d’une personne pour changer les choses. Une personne travailleuse, humble et courageuse qui ne recule pas devant les vieilles habitudes et les frilosités. Un responsable com parfois qui ira convaincre son HQ. Et qui avec le temps aura prouvé qu’elle avait raison (et se gardera bien de le faire remarquer). Ça ne date pas d’aujourd’hui. Il a bien fallu qu’un ancêtre montre un jour l’intérêt de frotter deux cailloux.