Chronique

On ne se rend compte de la valeur des choses que lorsque qu’elles nous sont enlevées. Si nous en avons encore plus pris conscience pendant cette longue période de privation, le début de la mise à mort du cookie le 1er avril a été pour nous, lecteurs de Stratégies et professionnels du marketing, le coup de grâce. Comment les nouvelles réglementations des États (RGPD, CCPA, ePrivacy) et technologiques (fin des cookies tiers, ATT, ITP...) vont-elles altérer la manière dont nous utilisons internet au quotidien ? Si c’est gratuit, c’est vous le produit, disait le vieil adage de la pub. Cela n’a jamais pris autant de sens qu’aujourd’hui avec l'émergence des cookies walls qui, pour quelques euros ou Ko, vous laissent lire un ou plusieurs contenus avec dans les deux cas une publicité plus ou moins ciblée.

Nos régulateurs sont en pleine faute de compréhension de l'économie du web. Une grande partie des revenus des éditeurs sur internet, petits comme géants, provient de la publicité ciblée. Certains éditeurs indépendants ne vivent parfois même que de ces revenus, leurs lecteurs n’étant pas prêts à payer autrement. Cette nouvelle législation ne fait que tuer leur modèle économique.

L’objectif est vertueux, en effet, l'utilisation malveillante du cookie tiers peut impacter négativement la vie privée de l'utilisateur par l’utilisation abusive de ses données personnelles. Mais la méthode très descendante de nos administrations montre à quel point la communication est mauvaise entre l’écosystème digital et le régulateur. En forçant la multiplication des cookies wall sur les sites, l'expérience utilisateur sur internet est dégradée, et en payant ou non la taxe data à l’entrée du site, il sera de toute façon exposé à des publicités non ciblées.  En plus de mettre des bâtons dans les roues de nos propres éditeurs et e-commerçants, la législation renforce les grands walled gardens comme les réseaux sociaux et les plateformes vidéos qui proposent une expérience de navigation facilitée par le login obligatoire.

Les éditeurs plombés par la législation

Sous le grand drapeau de la souveraineté numérique, on gonfle les muscles et on montre aux entreprises de la tech américaine qui est le patron… que nenni. Les Gafa nous le disent assez directement : le seul accès aux données de navigation se fera exclusivement par leur intermédiaire via les FLoC et Fledge brandés sous le doux nom de Privacy Sandbox. Avec un nom comme ça, rien à craindre pour les utilisateurs donc. Pour les annonceurs qui souhaitent accéder à ces données ou les croiser, cela devra se faire sous le regard bienveillant des grands acteurs de la tech qui en ont la chasse gardée dans leurs infrastructures. Alors on sort les amendes: 100M€ pour Google; 35M€ pour Amazon… 2,3 Mds€ pour Alibaba. Google répercute directement cette amende sur ses clients avec 2% de taxe supplémentaire. Le pré-bilan de toute la stratégie franco-européenne autour de la donnée est plutôt mitigé pour les utilisateurs et franchement négatif pour les éditeurs.  

Mais que devient la valeur de la donnée et comment la calculer aujourd’hui ? Comme n’importe quel actif en voie de raréfaction, sa valeur ne fait qu’augmenter mais la volonté des géants de la tech et des États de reformer son accès en fait un actif volatile, la donnée perd de sa valeur avec le temps et si nous sommes dans l’incapacité de la rafraîchir, elle deviendra alors obsolète. Les agences comme Publicis et Havas prennent des routes différentes sur la réponse à apporter. Publicis mise sur l’accumulation de données exclusives pour optimiser les campagnes de ses annonceurs, Havas prend le contre pied en mettant en avant que la propriété de la donnée doit rester chez l’annonceur.

Alors, la valeur de cette donnée vaut-elle l’investissement qu'il va falloir mettre en place pour s’adapter éternellement aux nouvelles régulations et face à des géants de la tech qui en jouent ? Si de très nombreuses solutions sont en test, entre les SSO, le retour au contextuel, la course à la first party, l’id universel … la complexité qui en ressort me fait penser au « wicked problem », beaucoup de parties prenantes, entreprises, particuliers, nous sommes tous concernés. Un alignement des acteurs qui sera difficile étant donné leur nombre et les efforts à mettre en place. Pourtant, c’est bien de là que doit venir la solution pour les annonceurs, agences, régies et éditeurs : une stratégie d’alliance autour d’un référentiel de collecte et d’utilisation de la donnée, partagé par tous et pour tous.

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