Chronique

L’éternité c’est long, surtout vers la fin dit l’adage. Et si cette pandémie semble durer déjà une éternité, pourvu que ce soit bientôt la fin, parce que, mes aïeux, qu’est-ce que c’est long! Alors je renouvelle ici l’exercice du «contre mauvaise fortune bon cœur» et cherche les avantages de cette époque de couvre-feu, de distanciation sociale, de fermeture d’à peu près tout ce qui donne du plaisir et change les idées.  Puisque nous sommes condamnés à l’immobilité, regardons le monde changer. Nous avons tellement perdu nos références et nos repères, qu’il y a un vrai plaisir à réfléchir et à se demander comment ça marche dans ce monde d’après. Commençons déjà par remarquer qu’on ne l’appelle plus comme ça parce qu’en fait, on ne l’a pas choisi et qu’il est déjà là. Appelons-le plutôt «le monde d’avec». 

Depuis ma dernière chronique, nous avons vécu le noël de la publicité : le Super Bowl. Pour la première fois, Budweiser, la marque la plus associée à cette finale du sport roi aux États-Unis, celle qui depuis 37 ans a toujours proposé un film, souvent le plus remarqué, a fait l’impasse cette année. Le groupe Anheuser-Busch InBev, qui détient la marque, a décidé d’allouer le budget à une campagne de promotion en faveur de la vaccination. Coca-Cola, Pepsi ou Procter & Gamble ont aussi renoncé à la mi-temps du Super Bowl pour bien montrer qu’elles avaient pris la mesure de la crise. Mais il y a bien eu un film qui a fait sensation. Un film dont la star est Bruce Springsteen. Au volant de vieilles jeeps, il déclame un poème pour réconcilier les deux Amériques, celle de Biden et celle de Trump, et nous invite à prendre la route. Ce que je retiens de cette grande ode à l’Amérique unie et éternelle, de cette rencontre de deux de ses grands symboles, la Jeep du débarquement en Normandie et le chanteur de Born in the USA, c’est l’entreprise qui est derrière : Stellantis, maison mère de Jeep, créée le 16 janvier dernier. Le nouveau nom de Fiat et de Peugeot qui ont fusionné. Peugeot et Fiat ont remplacé Budweiser au Super Bowl en 2021, fou, non ?  

Le temps de la réflexion

Un exemple plus proche de nous, les départs en vacances. Vous avez remarqué que la période des vacances scolaires est bien plus marquée qu’avant ? Les départs sont plus nombreux sur la deuxième semaine plutôt que la première. Normal, personne ne savait si on serait «reconfiné», si les stations de ski seraient finalement ouvertes, alors on attend le dernier moment et tout le monde décide vite et aussi bien que possible. À la sortie des classes, des maîtresses ont donné les devoirs en confiant tous les cahiers «au cas où» avec un petit mot qui disait espérer «se revoir à la rentrée»... Un peu partout, le week-end dernier, les côtes étaient pleines, les rues et les plages noires de monde, les commerces dévalisés. Tel restaurant qui pensait avoir prévu large a vendu ses 250 kilos de moules à emporter en 24 heures, telle autre épicerie a dû fermer une journée parce qu’elle était déjà vide.  

Vous en avez forcément remarqué des petits et des grands chambardements, du «nouveau raisonnable» déjà sec ou encore trop frais. Alors, certes nous subissons des privations – et nous ne sommes pas égaux face à elles, je pense aux plus jeunes et aux étudiants en particulier –, nous vivons tous avec une épée de Damoclès au dessus de nos têtes masquées, mais, franchement, il y a du grain à moudre, du grain de sel à mettre, des graines à planter dans cette époque. C’est l’occasion de réfléchir, d’anticiper et je suis convaincu que ce sera le grand retour de la stratégie. Depuis des années, l’impératif de la transformation, son accélération, les révolutions entrepreneuriale et numérique ont déclassé l’exercice stratégique. À raison, on n’en avait que pour l’«exécution». Les directions de la stratégie qui étaient l’ENA des entreprises ont perdu en prestige et en influence.  

Dans le monde d’avec, je suis certain que l’exercice stratégique, du choix de sa destination de vacances jusqu’aux plus gros investissements publicitaires, va retrouver son intérêt et ses lettres de noblesse et pour un long moment, au moins jusqu’à ce que nous retrouvions nos références et nos certitudes. Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’agilité et la qualité d’exécution devront en pâtir. René Char décrivait une occupation bien pire que celle du virus : pour «agir en primitif et prévoir en stratège», «un engagement ne se fait pas à l’abri du “Bien”, mais au regard du Néant. De cet “inconcevable” peuvent naître des repères éblouissants».  Soyons stratèges. 

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