Et si le 6 janvier 2021 avait marqué un tournant, une étape dans l’implication des marques dans les débats de société ? Les émeutes du Capitole, à Washington, ont entraîné des dizaines, voire des centaines de marques à prendre position, à condamner, à s’inquiéter, et ainsi à défendre la démocratie américaine, que ce soit sur les réseaux sociaux, dans des spots publicitaires, par la suspension des financements politiques ou à travers le licenciement de salariés ayant participé aux émeutes.
Au-delà de la décision inédite des plateformes comme Twitter, YouTube ou Facebook, qui ont banni de leur réseau le président américain d'alors, Donald Trump, et nombre de ses supporters, il est intéressant d’observer que des marques comme Coca-Cola, Nike, Bank of America, Verizon, Boeing, UPS ou encore General Motors, qui sont autant d’icônes de la culture et de l’économie américaine, ont pris part à la condamnation de cette atteinte au processus démocratique.
On peut considérer que cela allait de soi, compte tenu de la violence des faits. Mais dans un pays aussi profondément fracturé et où le soutien à l’ex-président, voire aux émeutes elles-mêmes, est aussi fort, cela n'était pas si évident. Ces marques ont pris le risque de mécontenter une partie de leurs clients par leur posture.
Les chiffres semblent leur donner raison. Selon une étude de Morning Consult pour Politico, publiée au lendemain du 6 janvier, près de la moitié des consommateurs avaient une image plus positive des marques qui ont condamné ces émeutes et 43 % déclaraient vouloir acheter davantage les produits de ces marques. Ben & Jerry's, qui a certes un ADN de marque engagée, a même réclamé dans un tweet l’impeachment de Donald Trump, un message liké plus de 500 000 fois.
L’ampleur du choc ressenti montre aussi l’impossibilité désormais pour les marques et les entreprises, qui interagissent quotidiennement avec leur public, de ne pas prendre la parole lorsqu’un sujet aussi important surgit. On ne peut plus à la fois être réactif sur les réseaux sociaux pour chaque évènement du quotidien (la fête nationale, la journée des câlins…) et ne pas réagir face à une tentative de coup d’État.
Est-ce la force intrinsèque des événements (l'invasion du Capitole a généré 430 tweets par seconde, selon Visibrain), la puissance des images ou la réalité de la menace qui a poussé des acteurs aussi nombreux, divers et importants en termes économiques, à prendre la parole ? Ou bien assiste-t-on à un glissement progressif de l’engagement des marques, qui passent d’un engagement sociétal à un engagement politique ?
Rendez-vous au Super Bowl
La présence de discours publicitaire se rapprochant de la sphère politique monte depuis des années, notamment à l’occasion du Super Bowl, et ceci avec l’aval des consommateurs. 60 % estiment que le point d'orgue du championnat de football américain est le bon endroit pour aborder des sujets sociétaux, selon une étude de Morning Consult publiée en décembre 2020. Le dernier spot Jeep avec Bruce Springsteen, diffusé lors du Super Bowl 2021, a montré que le sujet de l’unité du pays était en jeu.
Tout cela peut nous sembler hors de propos en France, mais qui aurait parié il y a trente ans que les marques s’engageraient pour l’environnement, la diversité ou la parité ? On disait à l’époque que ce n’était pas le territoire des marques ou des entreprises, qu’elles n’étaient pas légitimes… Aujourd’hui, on parle d’entreprises à mission, de marques engagées, de « purpose »… Et il y a une mondialisation de ce « purpose », voire une course au sens, et cela sur tous les marchés, ce qui rend presque inéluctable cette évolution du sociétal vers le politique. Demain, nous verrons peut-être en France des marques venir au secours d’une démocratie fragilisée. À la condition qu’elles y voient leur intérêt.