En mandarin, le mot crise est constitué de deux idéogrammes : Wei (danger) et Ji (opportunité). Et de fait, la crise est autant une menace qu'une opportunité pour accélérer la transformation de l'entreprise, exploiter ses points forts. « Cette crise a été darwinienne dans la mise à l’épreuve de nos capacités de résilience et d’agilité : seuls les plus adaptés ont pu faire face », analyse Barbara Lavernos, CTO et COO chez L’Oréal.
Quelle qu’ait été la force du choc, tous les décideurs interrogés partagent un constat : leur entreprise se sont autant transformées en six mois que depuis six ans. « Nous avons pu mettre en place un écosystème collaboratif en trois mois seulement, explique Stéphane Deux, CDO et CIO chez Transdev. En lieu et place de réticence au changement, la demande est au contraire venue à nous. »
Mais comment traduire concrètement ces opportunités en leviers de relance ? Tout d'abord, le besoin d’optimisation des coûts ne doit pas se faire au détriment de l’expérience client et employé. Pour deux décideurs sur trois, l’expérience client reste le chantier prioritaire de la transformation. La distanciation physique est une nouvelle contrainte et appelle de nouvelles réponses. L’efficacité opérationnelle redevient essentielle, renforcée par l’hyperpersonnalisation. Michel Jumeau, DGA chez Orange, n’oppose pas satisfaction client, chiffre d’affaires et efficacité opérationnelle : « La chasse à la non-qualité permet aussi de gagner en efficacité et en qualité opérationnelle. Et d’établir la confiance. »
La data et l'IA au cœur du réacteur
Les entreprises ne doivent pas non plus se replier sur elles-mêmes mais privilégier la coopétition et le partage en construisant et animant des plateformes collaboratives. Dans le domaine de l’alimentation, le consortium IBM Food Trust (dont font partie plus de 300 acteurs comme Carrefour ou Nestlé) garantit la traçabilité des produits en s’appuyant sur la blockchain. Finance, smart city… : les cas d’usage se multiplient. Ces 18 derniers mois, une entreprise de notre panel sur deux a lancé une initiative de type plateforme.
Autre leçon, la data et l'IA sont plus que jamais au cœur du réacteur. Qu’il s’agisse d’identifier des fraudes financières potentielles, comme au Crédit Mutuel, ou d’optimiser la fiabilité des trains à la SNCF, l’IA est considérée comme la technologie au plus fort potentiel de disruption avec le cloud. Sous-exploiter ses données représente un risque pour l’avenir de toute entreprise. On assiste également à un partage de plus en plus large des données à l’échelle des organisations, pour que chacun gagne en autonomie dans la réalisation de ses objectifs.
L’humain restera aussi en première ligne. L’adoption des outils collaboratifs, la rapidité des décisions, les solidarités inter-métiers (comme chez Air France où il a fallu gérer un pic de 170 000 interactions client, contre 60 000 habituellement) ont révélé de nouvelles compétences, de nouveaux leaders et de nouveaux héros en interne, sur lesquels il sera essentiel de s’appuyer dans la durée.
Enfin, l’industrialisation de l’innovation est clé. Elle doit se faire en saisissant les opportunités tout en bâtissant une relation de confiance. Dans ce contexte, les profils mixtes (technologiques et métiers) deviennent essentiels dans les projets de transformation, en dialogue avec tous les métiers, du technicien de maintenance à la direction artistique d’une maison de luxe.
Se concentrer sur l’essentiel, c’est à la fois réunir les conditions de la survie et préparer l’après, ne pas renoncer à l’excellence de service tout en optimisant les moyens, dans le respect de la raison d’être de l’entreprise. Il faut continuer à innover pour ne pas être disrupté. Pour répondre à ce défi, la réalité de l’entreprise apprenante, capable d’envisager en permanence plusieurs scénarios et de s’y adapter, est capitale.