Début juin, 22 associations ont publié un rapport intitulé Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique. On peut y lire des réflexions extrêmement sévères sur notre métier, accusé de «consommer la planète», d’être un «moteur de la surconsommation et de la crise climatique», de «capturer le débat politique» ou encore de mettre au point des «stratégies multiples de blanchiment d’image».
Passons sur ces jeux de mots et figures de rhétorique par nature publicitaires pour nous concentrer sur ce que le rapport a d’intéressant. Bien qu’il le fasse de manière paradoxale, ce rapport souligne l’efficacité de notre métier : la publicité fait vendre, elle valorise les entreprises, elle est le moteur de la consommation et donc de la croissance. Je crois que cette efficacité est plus que jamais synonyme d’utilité au moment où une crise sans précédent se profile. L’arrêt momentané de notre économie et sa reprise en mode dégradé menacent des millions d’emplois dans le monde. Notre métier va être utile pour renouer avec la confiance dans un contexte anxiogène où 62% des gens attendent de leurs marques favorites qu’elles communiquent avec un ton positif et encourageant. L’étude Deloitte le rappelle : «1 euro investi en publicité génère 7,85 euros de PIB». Cette utilité économique de la publicité est fondamentale pour soutenir un modèle de croissance qui – s’il n’est pas parfait – reste le plus à même de créer des emplois.
Cette première utilité de la publicité est liée à son étymologie. En effet, faire de la publicité, c’est «rendre public dans la cité». Rendre public, c’est partager du sens. Or, qui peut aujourd’hui dire que nous n’avons pas besoin de partager le sens de ce que nous faisons ? En écrivant ces lignes aujourd’hui, je tente de répondre moi aussi humblement à cette question. L’utilité de la publicité, c’est d’abord celle-là : raconter dans l’espace public. Ce que je fais, pourquoi je le fais. La publicité nous oblige à nous poser la question de notre utilité. La question de notre raison d’être fonctionnelle et émotionnelle, du pourquoi nous nous levons tous les matins. C’est donner plus de sens à ce que les marques font, créent, produisent, tentent de raconter à tous. Au-delà de la pure transaction de l’achat, c’est proposer un système de valeurs, une vision de son métier, un projet.
Aller à la rencontre de l’autre
Alors je pose la question : serait-ce un progrès de ne plus raconter ce que les marques font ? Certaines entreprises ou institutions sont de «grandes muettes». Personnellement, je les trouve plus inquiétantes que celles qui parlent. Car faire de la publicité, c’est déjà aller à la rencontre de l’autre, s’exposer à sa réponse, s’attendre à un échange. C’est accepter de susciter l’adhésion ou le rejet. Nous, gens de métier, le savons bien : quand des consommateurs n’y croient pas, ils vous le font savoir.
C’est tout l’inverse de la vision des procureurs de la publicité qui ont une tendance condescendante à ne pas imaginer les gens autrement qu’en êtres manipulés et manipulables. C’est ignorer le fait que la publicité ne marche pas quand elle n’écoute pas ceux à qui elle s’adresse. C’est d’ailleurs là une autre facette de son utilité : être le relais des aspirations des gens. Notre métier est d’abord un métier d’écoute. On passe des journées à lire, écouter, analyser, comprendre, prendre le pouls des aspirations des gens, de leurs croyances, de leurs doutes, de leurs désirs parfois contradictoires et souvent de leurs paradoxes.
C’est d’ailleurs parce que je crois à l’écoute que le rapport Big Corpo m’intéresse. Par-delà l’ignorance de notre métier dont il témoigne, il est un symptôme d’une envie de changement. D’un questionnement légitime sur la société de consommation, ses limites et la nécessité de le repenser à l’aune d’une transition écologique inéluctable. Les études que nous menons auprès des consommateurs le soulignent : ils sont 85% à avoir vu dans la pandémie du Covid-19 le signe qu’il nous faudra à l’avenir prendre un meilleur soin de notre planète. Ils sont 97% à dire que l’on devrait traiter l’enjeu du réchauffement climatique avec la même urgence que l’on a mis à combattre la pandémie. Cela se traduit aujourd’hui par une aspiration fondamentale des gens à «moins mais mieux». A nous, publicitaires, de relayer cette aspiration auprès des marques pour les orienter.
Contribuer au changement
Sur ce sujet, la publicité n’est évidemment pas neutre. Mais est-ce forcément un mal ? En orientant, nous pouvons contribuer au changement. A cet égard, la question n’est sans doute pas de savoir s’il faut tuer la pub pour les SUV mais comment faire plus de pub pour les véhicules électriques pour les aider à gagner des «parts de rue». Notre utilité s’écrit ainsi du côté des représentations, de la mise en scène d’un nouvel imaginaire de la société de consommation, où l’on a un peu moins de consommation mais un peu plus de société…
Je ne pourrais finir cette tribune sans évoquer ce plaisir quotidien que m’offre la publicité : traverser le pont qui va du commerce à la création. S’il est bien une facette de l’utilité de la publicité qui me tient à cœur, c’est celle-là : soutenir les industries de la création. Combien de réalisateurs, d’acteurs, de musiciens, de photographes la publicité a-t-elle contribué à faire vivre et à révéler au grand public ? Des Chemical Brothers pour Air France à Guillaume Gallienne en inimitable Louis XIV et galeriste, les exemples ne manquent pas et nous rappellent que la publicité, c’est aussi ça : nous apprendre des choses, nous faire rire, nous distraire, nous émouvoir, nous ouvrir sur le monde.