On a perdu beaucoup de compétitions les mois précédents le confinement, notre ratio de victoires/compétitions était mauvais. Puis le télétravail s’est imposé, les compétitions se sont menées à distance et soudain, on en a gagné une, deux, trois, quatre de suite… Le ratio a tutoyé le 100%. Forcément, ça fait réfléchir : c’est quoi la différence entre une compétition sur Meet et une compétition en réel ? C’est juste qu'on ne se voit pas, ou qu'on voit simplement des petits ronds de couleur avec les initiales dedans, puisque la bonne pratique veut qu’on éteigne sa caméra pendant la présentation. On est alors jugé sur les propositions, les idées, le ton, mais plus sur le reste.
Une fois passé le cruel constat d’un manque de charisme évident ou d’un vrai problème d’haleine, voire les deux en même temps, nous nous sommes penchés sur le phénomène pour mieux comprendre ce qu’il révèle et permet peut-être. La sociologue Aurélie Jeantet souligne que le télétravail a amoindri le théâtre que constitue le cadre de travail. On ne devient pas égaux pour autant, mais, d’une certaine façon, les apparences et les artifices ont disparu. Le pitch à distance serait-il le CV anonyme de l’appel d’offres ? Il permet en tout cas d'être jugé sur le contenu plutôt que sur des codes qui sont par ailleurs toujours difficiles à objectiver. Cette situation questionne de manière aigüe le sujet du processus d’appel d’offres.
La qualité et la durabilité du couple annonceur-agence se fondent sur deux grands critères : le contenu et la relation. Or, autant les processus d’appels d’offres sont efficaces pour tester la capacité d’une agence à comprendre les enjeux d’une marque et à y apporter les bonnes réponses stratégiques, créatives et opérationnelles, autant sur la relation, on est dans un grand flou. Ce flou soulève des problèmes d’impartialité et d’égalité des chances, entre petites et grandes agences, entre agences dirigées par des « personnalités » et celles créées par de « nouvelles têtes », entre celles qui savent bien jouer sur cette scène de théâtre qu’est la compétition et celles pour lesquelles c’est moins facile, entre celles qui ont une équipe newbiz et celles qui n’en n’ont pas.
Ce grand flou soulève aussi la confusion possible entre relation et séduction. Les premières impressions qu’une agence peut faire permettent de juger le caractère séduisant d’une agence, elles ne présagent pas forcement de la qualité de la relation pourtant essentielle au succès des projets à mener ensemble.
Les douze soft skills de l'AACC
Les travaux récents de l’AACC marquent une vraie avancée pour intégrer la relation comme un critère de sélection à part entière. La commission Développement a créé une liste de douze soft skills dans laquelle annonceur et agence peuvent choisir les trois qui comptent le plus pour eux. Cela permettra d’aborder le sujet de la relation et d’objectiver a priori la compatibilité des cultures. Quid de proposer aux annonceurs qui le souhaitent un autre outil qui permette de juger de façon impartiale la qualité du contenu ? L’anonymat permet cela. Cette démarche de clarification et d’objectivation des compétences soft et hard est un prérequis à des relations plus fortes.
Si on ne sait pas grand-chose de « ce monde d’après qui est déjà là aujourd’hui et qui avait en fait commencé hier », une chose est sûre : on aura besoin de relations saines et durables pour répondre collectivement aux enjeux de l’époque et promouvoir une consommation épanouissante et vertueuse. Annonceurs, conseils en choix d’agence, organisations professionnelles, nous sommes tous concernés par cet enjeu que la crise actuelle radicalise. Je propose que la prise en compte de la relation lors des appels d’offres soit mise à l’ordre du jour des États généraux de la filière.
