Fabriquer un ennemi permet de divertir et d’influencer l’opinion publique en masquant les vrais enjeux sociétaux. A l'heure des réseaux sociaux, deux conditions sont à respecter pour rendre cette pratique encore efficace.
En communication, la fabrique de l’ennemi prend du temps mais se révèle redoutablement efficace lorsque l’opinion publique est convertie et que la cible visée tombe dans le piège à pieds joints. On peut citer l’action du think-tank américain « The Project for a New american Century » qui, pour préparer la réélection de Georges W Bush en 2004, a réussi à créer l’ennemi en la personne de Saddam Hussein (qui aurait alors disposé de la 4e armée du monde ou de l’arme de destruction massive, dont on sait aujourd’hui qu’il n’en fut rien) pour justifier une guerre en 2003 et s’afficher ainsi comme protecteur des Etats-Unis et du monde.
En France, on peut citer aussi la stratégie mise en place dans les années 80 par les gourous de François Mitterrand pour diaboliser Jean-Marie Le Pen, qui a parfaitement fonctionné car la cible a incarné ce rôle en multipliant les maladresses verbales, autres calembours voire même identifié comme le diable lui-même dans des émissions TV, comme le Collaro show.
Fabriquer un ennemi permet de divertir et d’influencer l’opinion publique en masquant les vrais enjeux sociétaux. L’action ne peut émaner que d’un groupe d’individus ou d’un Etat qui exerce une action de leadership en arguant la bien-pensance sur le marché du bien et du mal. Durant la guerre froide, les Etats-Unis, à grands renforts de communication, ont exercé leur impérialisme idéologique face à l’URSS en se positionnant comme les défenseurs d’un modèle de liberté (politique, économique). «Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemis», avait alors lancé Georgyi Arbatov, conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, estimant, faute d’ennemi commun, que le camp occidental allait se diviser.
Le storytelling de dénigrement existe et il vise principalement les modèles dominants ou ceux qui sont en passe de le devenir. Ils forment des légendes urbaines que l’opinion publique s’empresse alors de croire et de divulguer sous un mécanisme de rumeur qu’on appelle aujourd’hui fake. Contre la pyramide du Louvre, on peut citer la légende de l’antéchrist (repris dans le Da Vinci Code) qui affirmait qu’elle avait 666 plaques de verre (alors que le Louvre en contient 673) ; pour décrédibiliser Coca-Cola, la légende véhiculait que la boisson contenait de la cocaïne…
Preuves fiables, précises et démontrées
La diabolisation est encore efficace si deux conditions sont respectées : d'abord, l’attaque doit se réaliser sur des preuves fiables, précises et démontrées. La communication de crise doit alors répondre sur le même registre. En 2017, François Fillon a donné le contre-exemple d’une bonne réponse allant d’approximations en approximations. Ensuite, il faut que la cible, en position de force sur le marché, se transforme elle-même en diable, à savoir une image non populaire, distante voire sournoise. Tout bon communicant de crise, pour un grand élu ou une entreprise, doit sentir venir la crise et surtout en prévenir le risque car elle est un phénomène qu’on peut analyser techniquement (affolement d’activités sur les réseaux sociaux, articles litigieux dans la presse…).
Bref, la fabrique de l’ennemi a toujours existé pour justifier une action qui se réalise au nom du bien ou de l’intérêt collectif. Elle est une action de manipulation de masse qui se décrypte aujourd’hui facilement grâce à l’activité des réseaux sociaux. Tout modèle dominant est en proie à ce type d’attaques. C’est uniquement accompagnés de vrais professionnels qu’ils arrivent à en échapper ou en réduire les effets.