Front populaire, Rassemblement national, Renaissance... Comme en marketing, le nom choisi par un parti n'est pas anodin. Et ceux des partis candidats aux prochaines législatives sont convenus, selon Corinne Bessis, spécialiste du naming.

La politique est aussi une affaire de stratégie, de marketing et de communication. Qu’il s’agisse de vendre un parti ou un produit, beaucoup de lois communes s’appliquent. La question peut donc se poser d’analyser les derniers évènements politiques sous l’angle du naming et de son influence possible. Le nom d’un objet, d'un produit ou d'un parti n’est pas un détail ; c’est le mot qui les résume, les appelle, la base de leur identité. Ce nom influence nécessairement leur perception.

Trois principaux partis ou union de partis sont en lice pour les prochaines élections : Renaissance, RN, Front populaire, qui est l'union de quatre partis : PS, PC, LFI, EELV.

Renaissance

SI l'on regarde d'abord Renaissance, c'est le deuxième renaming d'En Marche, parti lancé en 2017, devenu successivement LREM puis Renaissance en 2022. En Marche était un très bon nom, une trouvaille, un nom simple et attirant qui se démarquait clairement des noms de partis classiques en ce qu’il n’évoquait pas directement l’univers politique. Le passage de En Marche à LREM affaiblissait la nouveauté et la séduction du nom en réintroduisant l’univers politique et le sigle, néanmoins EM était conservé.

Le renaming de LREM pour Renaissance est une seconde erreur. Renaissance est un joli nom classique, plutôt de droite, qui a perdu la fraicheur et la nouveauté de EM. Ce que désigne exactement Renaissance n’est pas clair pour un public large, on s’interroge, on se perd, on se détourne. Par sa dimension classique, intemporelle, par ses évocations du XVIe siècle, le nom Renaissance a plutôt tendance à droitiser l’image du parti et donc à conforter l‘opposition de gauche.

Par ailleurs, Renaissance ne valorise pas le bilan de la majorité présidentielle sur son premier mandat, car en annonçant qu’ils vont renaître, ils créent un doute sur l’action qu’ils ont menée jusqu’en 2022 : ils suggèrent qu’ils ne l’assument pas ou pas complètement.

Enfin, ce changement de nom peut sembler injustifié : les fondamentaux du parti perdurent, Emmanuel Macron reste à sa tête, les Premiers ministres se succèdent mais la ligne semble rester inchangée. Le terme Renaissance aurait pu être justifié par deux à trois fortes innovations bien nommées pour être visibles, comme ce fut le cas à « la Renaissance » mais ce n’a pas été le cas. La réforme de la retraite ne peut être considérée comme une innovation, déjà car son nom-même est usé.

Donc ce renaming est une erreur. Comme toute erreur, elle se paye un jour, l’heure semble avoir sonné le 9 juin.

Rassemblement national

Marine Le Pen a rebaptisé le parti en 2018 après son débat raté avec Emmanuel Macron. Tous les spécialistes ont trouvé le nom long et lourd, sans surprise, banal. Néanmoins, le nom illustre bien la volonté sous-jacente au changement de nom : moins d’agressivité, de combat, plus de neutralité, de douceur. Moins Jean-Marie plus Marine.

Le parti a traversé une période difficile de désaffection après le renaming puis s’est redressé. Bien que le nouveau nom ne transmette ni audace ni nouveauté, la suppression du terme Front rend probablement plus facile de se rallier au parti.

Par ailleurs, tout nom s’apprécie, s’évalue en fonction de ses noms concurrents ; la disparition d'En Marche et l’absence de nouveaux noms de partis à gauche facilitent l’acceptation du nom RN.

Front populaire, pour l’union PS-LFI- EELV-PC

On est loin de l’originalité de certains noms de coalition comme Arc-en-Ciel en Belgique. A part LFI, les noms sont anciens, suggèrent la pérennité plus que la nouveauté. Celle-ci peut donc faire défaut. Front populaire est un nom connu, qui a une histoire : 1936, Leon Blum, l’avancée des congés payés… C’est une histoire très chère sans doute aux sympathisants de gauche mais est-elle suffisamment actuelle, rassurante, fédératrice…

Front est le terme consacré, il a le mérite d’être court et parlant mais il est peu original et il ne connote pas particulièrement la gauche. Pour dire union, on dit Front. Front comme Front national dont tout le monde se souvient. Populaire a deux grands sens dans le langage courant : qui est aimé, qui s’associe à une classe populaire. Dans Front populaire, populaire renvoie davantage au second sens.

L’adjectif n’est ni nouveau ni spécifique, le RN pouvant aussi aujourd’hui se revendiquer comme un parti populaire. L’union se veut aussi populaire au sens de « sympa, qui est aimé », mais on peut douter que le terme populaire soit fédérateur, que la majorité des Français se vivent comme appartenant à la classe populaire, ou se sentent attirés par l’adjectif Populaire.

Populaire est-il encore un terme de gauche ? On peut en douter. Le nom Front de gauche aurait pu sembler plus spécifique, plus actuel mais il a été utilisé en 2009 et il n’est pas plus original que Front Populaire. Stratégie possible pour la gauche : raviver l’élan, l’espoir, l’enthousiasme qui s’associe parfois à ses grandes heures, comme le Front populaire de 1936 ou l’élection de François Mitterrand en 1981.

Difficulté à renouveler le vocabulaire des partis

Renaissance, Rassemblement national, Front populaire : aucun de ces trois noms de partis ou d’union n’est nouveau, original ; tous sont classiques, convenus. Renaissance est le nom le plus élaboré des trois mais malheureusement il aurait fallu garder En Marche.

Il est frappant de constater à quel point nos partis en France ont du mal à renouveler leur vocabulaire. Ce sont toujours les mêmes mots, comptables sur les dix doigts : front, république, rassemblement, union, France, national, mouvement, populaire… Ces mots signent l’univers de la politique ennuyeuse, qui se répète dont on se détourne parce qu’elle nous perd, nous embrouille et parce qu’elle est sans âme.

Le RN se développe plus facilement dans un tel paysage parce que justement il cherche à brouiller les pistes. Une condition pour émerger : avoir des propositions, des projets et les nommer pour les faire exister - voir par exemple la percée, ponctuelle certes mais marquée, de Benoit Hamon avec l’idée du Revenu universel. A suivre.

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