« En quelques mois de confinement, on a gagné quatre ans de développement de l'e-commerce. La Chine a dépassé le seuil d’un achat sur deux en ligne, au Royaume-Uni, c’est 40 %, et en France, 20%. » Ce tableau dressé par Alexandre Mahé, directeur associé de Fabernovel, chacun a pu le constater avec la mise en place urgente de solutions de click and collect par les enseignes dites non essentielles, bricolage ou librairies.
Les achats alimentaires en ligne, drive et livraison à domicile, ont explosé de 46,5 % en France en 2020, selon l'institut Iri, contre +6,8 % en 2019. Kantar souligne que les plus de 60 ans se sont convertis massivement à ce mode de consommation.
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Les habitudes se consolident, d’après la Fevad (Fédération e-commerce et vente à distance), qui compte 41 millions de cyberacheteurs en France au premier trimestre 2021, soit 1 million de plus en un an. Et les transactions ont atteint près de 30 milliards d’euros, en hausse de 14,8% sur un an.
Cette appropriation des outils numériques imposée par la situation sanitaire a généré un nouveau comportement des consommateurs marqués par l’impatience. « À partir de 3 secondes de chargement, on perd des clients », ajoute Alexandre Mahé. Selon une étude Euromonitor, près de 50 % des Européens seraient prêts à se faire livrer par des robots ou par des drones si cela permettait de raccourcir les délais. Pour 55 % des consommateurs, ceux-ci devraient être de deux heures maximum.
De nouvelles plateformes de livraison en 10 minutes apparaissent, comme Gorillas, Cajoo ou Flink, qui vient de lever 240 millions de dollars pour financer son expansion en Europe. Les formats de drive sans contact, comme Delipop ou Boxy, installés dans des containers, répondent aux besoins de proximité et de praticité. Les modèles établis s’effondrent : Zara ferme 1 200 points de vente pour investir sur la vente en ligne, Nike coupe dans ses budgets publicitaires pour ouvrir des magasins vitrines.
Amazonisation du commerce
« Après l'ubérisation de l’économie, on parle désormais de l’amazonisation du commerce, c’est-à-dire la priorité mise sur la satisfaction client avant tout autre critère », décrypte Jean-Marc Megnin, directeur général d’Altavia ShopperMind et auteur d’un baromètre avec OpinionWay sur les attentes des consommateurs. « Dans notre étude, le critère "trouver ce que je cherche" est en tête tandis que le critère prix est en baisse car il est désormais considéré comme un dû. Il est dépassé par l’attente du gain de temps », détaille-t-il. Les critères d’enseigne « responsable » ou « qui fait passer un bon moment » sont loin derrière, malgré les discours officiels. À travers Amazon, c’est le concept de plateforme qui se généralise, soit des acteurs capables de gérer tous les aspects de la vie, des courses à l’assurance en passant par les loisirs, en échange d’un abonnement.
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« Les distributeurs doivent repenser leur modèle économique en intégrant le fait que l’acheteur va au plus pratique, que ce soit en ligne ou en physique, commente Nicolas Diacono, analyste tendances digitales de l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance. Le magasin physique va devenir un lieu d’échange humain, d’expérience. » L’obsession du chiffre d’affaires au m2 ou la concurrence entre un point de vente et le site internet d’une même enseigne n’ont plus lieu d’être. « Il faut multiplier les types de concepts. On sait par exemple que le point mort pour le drive est de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires par an mais si vous ne le proposez pas le client va ailleurs », poursuit l’expert.
Dark stores
Les points de vente abandonnés par les chaînes en centre-ville sont convertis en « dark stores », des magasins sans clients dédiés aux livraisons de proximité. Frichti s’est lancé dans l’ouverture de dark stores du frais disséminés dans plusieurs grandes villes : Paris, Lyon, Bordeaux, dernièrement Lille, prochainement Nantes et Marseille. C'est une alternative à Amazon dont le frais est le talon d’Achille. Glovo, start-up espagnole de livraison, vient quant à elle de lever 450 millions d’euros pour multiplier les dark stores en Europe.
Dans les magasins, les vendeurs se réinventent en bonimenteurs des temps modernes dans des séances de live shopping, une autre conséquence de la crise. Ce phénomène vient de Chine, où l’influenceur Li Jiaqi est capable de réaliser plusieurs millions d’euros de ventes en une session. La vague a déferlé chez nous beaucoup plus vite que prévu : Fnac Darty va installer un studio d’enregistrement dans le magasin de l’avenue des Ternes à Paris, les Galeries Lafayette et le Printemps ont sauté le pas pendant leur fermeture, de même que la boutique Lancôme des Champs-Élysées, désertée par les touristes.
Globe Groupe, agence de marketing expérientiel, vient d’inaugurer un studio de 1 500 m2 dans le 16e arrondissement de Paris pour accueillir les tournages des marques haut de gamme. « Cela n’a pas de sens économique de bloquer 50 m2 dans un magasin d’une adresse prestigieuse comme l’avenue Montaigne, justifie Jérémy Dahan, président de Globe Groupe. De plus, les points de vente ferment à 19h alors que les pics de connexion se font entre 17h et 23h. La solution, c’est un lieu dédié dans un bon quartier pour attirer les bons vendeurs. Même si 70 % à 80 % des ventes se font toujours en magasin. »
Père Noël virtuel
Allier le virtuel et le réel, c’est aussi faire appel à la réalité augmentée quand les contacts physiques sont impossibles. La start-up nantaise Wonder Partner’s a monté des opérations événementielles en point de vente, par exemple pour se prendre en photo avec un père Noël virtuel à Carrefour ou tester différentes gammes de cycles sans déballer tout le stock à Decathlon. « Mais la solution n’est pas réservé qu’aux grandes enseignes, précise Alexis Thomas, fondateur associé. Pour l’atelier parisien La Cerise sur le chapeau, qui travaillait beaucoup avec les touristes japonais, nous avons créé un service de personnalisation en réalité augmentée. »
Le retard pris par les PME sur le digital a été exposé de façon cruelle pendant les confinements, et les experts en technologies se font fort d’accompagner les enseignes de proximité. Rakuten vient de lancer l’offre Pack Starter pour aider les petites entreprises à démarrer dans l’e-commerce via sa plateforme, Google My Business s’impose comme un passage obligé pour optimiser sa visibilité en ligne, les plateformes de produits locaux type Yaka Français, Simplement Français, DreamAct ou Drive des campagnes signent la volonté de concilier le local et le digital.
Quant au commerce physique, il n’est pas sur la touche, au contraire. L’ouverture de la Samaritaine, qui aurait dû avoir lieu en 2020, devait créer l’événement dans la capitale le 23 juin. Hubert de Malherbe, dont l’agence du même nom a signé l’aménagement de l’espace beauté sur 3 000 m2, y voit « un lieu iconique pensé pour qu’on se sente au cœur de Paris à tout instant, en poussant très loin les expériences sur place et, en digital, pour les faire vivre à l’autre bout du monde. On ne reviendra pas à l’avant-covid. On a réalisé qu’il y avait aussi bien du plaisir dans les expériences digitales que des contraintes dans le présentiel. L’avenir sera forcément un mélange des deux. »
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Les centres commerciaux reformatés
Face aux attentes de praticité, de proximité, de gain de temps plébiscitées par les consommateurs, les grands centres commerciaux doivent justifier leur statut de commerces de destination. Le format évolue vers des modèles hybrides entre loisirs et consommation. The Village près de Lyon, l’Atoll à Angers ou Waves à Metz se veulent de véritables lieux de vie au design étudié qui proposent des programmes de fidélité pour bénéficier de services VIP. « Dans ces lieux, la relation transactionnelle n'est pas suffisante. On s’y rend pour vivre une expérience et être pris en considération », souligne Dan Otmezguine, directeur général de l’agence de design Stories. Sur le même modèle, JMP Expansion prépare l’ouverture d’un village de marque à la frontière belge, Designer Outlet Hautmont, comprenant une base de loisirs.