Dossier Tech et démocratie
À plus forte raison avec la crise sanitaire, la technologie s’est mise au service des citoyens et du bien commun, avec le développement de la civic tech. Mais faire vivre la démocratie par le digital n’est pas si simple…

Digitalisation du travail, du commerce, des événements, des cours… Le covid a tout changé, dans un certain nombre de secteurs, en obligeant à réinventer les actions du quotidien par le numérique. L’expression et l’exercice démocratiques n’échappent pas non plus à la règle, alors que toute réunion publique était impossible et que la période a remis en exergue l’enjeu de la responsabilité collective ainsi que le besoin de proximité et d’échanges, ravivé par les confinements successifs. « Cela a été un moment assez galvanisant car des acteurs publics qui n’avaient pas pris le pli du digital ont été en demande », se souvient Julie de Pimodan, présidente de l’Association Civic Tech Europe (Acte), qui représente le secteur auprès des institutions européennes. La crise a donné un coup d’accélérateur dans un marché de la tech citoyenne jeune - moins de dix ans -, porté aussi par les récentes mobilisations comme les marches pour le climat ou le mouvement Black Lives Matter, reflétant une volonté de tout un chacun de s’engager sur les grands sujets.

« C’est une combinaison du covid et des élections municipales de 2020 qui ont conduit à ce que la participation citoyenne soit une priorité dans beaucoup de programmes électoraux de municipalités. On observe aussi une tendance à mettre en place de plus en plus de dispositifs de ce type », complète Katharina Zuegel, codirectrice de Décider Ensemble, un think tank visant à « diffuser une culture de la participation ». Avec l’impossibilité de se réunir en présentiel, le covid a donc interrogé la manière d'accompagner cet élan citoyen. Par exemple, Nantes a mené de novembre 2020 à février 2021, en distanciel, une convention citoyenne autour des « vécus de crise et aspirations pour demain », afin de faire remonter des préconisations aux élus, qui devaient répondre en juin.

Les citoyens dans la boucle

Il ne suffit pas d'avoir les outils, encore faut-il savoir quoi en faire. « Les collectivités ont trois grands types de besoins : communiquer, dégager des tendances, et, le plus abouti, disposer d’un outil d’aide à la décision, théorise Julie de Pimodan, qui, au-delà de ses fonctions au sein de l’Acte, est aussi dirigeante cofondatrice de la plateforme de consultation Fluicity. Notre objectif en tant que secteur est d’emmener les acteurs vers des usages plus matures des plateformes, pour transformer leurs modes de décision ».

Ces derniers mois, les consultations autour du « monde d’après » se sont multipliées. Initiative assez inédite en France, la constitution du collectif citoyen sur la vaccination - réuni à plusieurs reprises en visioconférence - marque un changement pour Antoine Vergne, codirecteur de Missions Publiques, entreprise spécialisée dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de démarches participatives. « Les citoyens sont mis dans la boucle de la prise de décision », analyse-t-il. C'est un changement de chronologie et de logique, passant d’un schéma descendant à l’instauration d’un dialogue. « La logique ne vaut pas pour tout le monde », tempère Katharina Zuegel. Parmi les collectivités à avoir innové sur le sujet, elle cite la municipalité de Lille, qui a mis en place début 2021 un site permettant de lancer des pétitions locales et d’inscrire des sujets à l’ordre du jour du conseil municipal sous réserve d’un nombre suffisant de signatures.

Changement de logique

Reste que les initiatives en question naissent encore le plus souvent des collectivités ou d'acteurs publics. « Certains processus émergent de la société civile. Cela n’arrivait jamais avant. Cela pose la question de la légitimité », tempère Antoine Vergne. Parmi les autres freins potentiels, le manque d’inclusivité du numérique, la représentativité des répondants ou la difficulté à synthétiser des milliers de réponses. Par ailleurs, une branche des civic tech s’inscrit désormais dans une logique marchande, ce qui n’amoindrit pas les services rendus mais redessine leur finalité.

« À côté des acteurs entrés dans une logique de marché, on remarque une multiplication de petites initiatives qui mettent à profit la dynamique des outils, comme l'appli Vite Ma Dose », observe Clément Mabi, maître de conférences à l’université de technologie de Compiègne, spécialisé dans les questions d'expérimentation démocratique, de participation citoyenne ou de culture numérique. D’autres prennent aussi une place sur le marché avec une dimension plus militante, comme WeMove Europe, qui veut impliquer les citoyens dans les prises de décision européennes en misant sur la mobilisation digitale. « Le but ultime est d’impliquer les citoyens pour qu’ils s’approprient les outils et organisent leurs propres actions, même si l'on n’y est pas encore », expose Mika Leandro, directrice de campagne au sein de l’organisation financée aux trois quarts par les dons de particuliers. Autant d’enjeux ravivés par la perspective des élections régionales et départementales des 20 et 27 juin prochains.

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