Fermez les yeux, et pensez «pollution». Les premières images qui vous viennent sont sans doute un pot d’échappement ou un avion, peut-être une marée noire. Pourtant, le secteur du numérique représentait à lui seul 4% des émissions de gaz à effet de serre en 2020. Concrètement, c’est deux à trois fois le poids des émissions de gaz à effet de serre d’un pays comme la France, ou le poids de l’aviation civile mondiale. Ça fait beaucoup, mais ça n’est pas fini : en pleine croissance (coucou, la 5G), le secteur devrait tripler ses émissions d’ici 2025.
Une grande partie de ces émissions provient de la consommation d’énergie nécessaire pour faire fonctionner les terminaux (nos ordinateurs, nos smartphones…), les data centers et les réseaux. Mais c’est surtout la fabrication desdits terminaux qui pèse le plus lourd : 70% de l’empreinte carbone du numérique en France. L’une des principales causes, c’est l’obsolescence programmée. En 10 ans, le poids des pages a été multiplié par quatre. Conséquence, il nous faut acheter des ordinateurs ou des smartphones toujours plus puissants pour être en mesure, simplement, de lire des pages web qui demandent toujours plus de ressources.
En concevant des outils numériques plus riches, gourmands en énergie, nous, designers, participons à cette obsolescence programmée. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons y remédier, nous pouvons agir, et même mieux : l’innovation passe par là. L’éco-conception consiste à réduire l’impact du numérique en construisant des parcours moins énergivores, en réduisant d’un coup l’impact au moment de l’utilisation et mécaniquement en ralentissant le renouvellement des terminaux.
La chasse à l’inutile
Alors, comment on fait ? Il est déjà possible d’optimiser le code (côté client et côté serveur) et de choisir un hébergeur qui a des data centers peu gourmands en énergie (calculé à partir de l’indicateur d’efficacité énergétique ou PUE, pour Power Usage Effectiveness) et qui utilise de l’électricité issue du renouvelable. Mais le plus efficace est surtout d’intervenir dès la conception, et en particulier lors du choix des fonctionnalités et des contenus. En posant la question dès cette étape, l’action aura plus de force que lors de l’optimisation des lignes de code.
Il est donc là, notre rôle de designer : concevoir des outils numériques utiles, utilisables et utilisés pour répondre à cette problématique de l’éco-conception. Faisons la chasse à l’inutile. 80% des fonctionnalités demandées par les utilisateurs ne sont jamais ou rarement utilisées. Concevoir en «mobile first» aide à renoncer à certains contenus : imaginer des parcours sur des interfaces mobiles, avant de les décliner sur des écrans d’ordinateur. Il est plus facile de se limiter en termes de fonctionnalités ou de contenus sur un écran plus petit.
Les outils conçus doivent aussi être utilisables pour tous, c'est-à-dire accessibles quel que soit l’utilisateur final, sa situation et son contexte. Pour s’assurer que cela reste accessible sur les écrans de taille moyenne et aux caractéristiques techniques abordables, il est préférable de travailler ses écrans sur un iPhone 6 par exemple, plutôt qu’un iPhone X. De la même manière, l’utilisateur n’a pas non plus toujours accès au wifi. L’outil numérique doit pourtant être accessible également dans ces situations. Les pages doivent donc être ni trop lourdes, ni trop gourmandes en énergie pour pouvoir charger rapidement dans toutes les situations.
Limiter sa dette technique
Enfin, les outils doivent être utilisés. En se posant les bonnes questions rapidement (quel est le temps d’attention dont nous disposons, en combien de temps maximum mon utilisateur doit pouvoir acheter tel produit...), nous pouvons nous fixer un objectif en amont de la conception. Cet objectif sera le guide pour concevoir des parcours courts et efficaces. Moins de pages à charger, et des pages plus légères pour gagner du temps : nous éviterons ainsi autant que possible les carrousels, les scrolls infinis, les vidéos en autoplay, qui sont naturellement gourmands et surchargent la page.
En fin de conception, il suffira alors de tester les parcours pour s’assurer que l’objectif est atteint, et bien sûr de réitérer si ce n’est pas encore le cas. Eco-concevoir, c’est limiter sa dette technique (moins de fonctionnalités à maintenir), c’est avoir plus d’utilisateurs (car accessible par tous), c’est améliorer son SEO (Google prend désormais en compte les critères UX dans son algorithme tels que la conception mobile first, le temps de chargement…). C’est aussi disposer d’un outil plus efficace (car plus orienté sur les usages des utilisateurs) et c’est améliorer l’image de son entreprise.
L’éco-conception est une évidence, elle va dans le sens de l’histoire. Mais si vous ne le faites pas par conviction, faites-le au moins parce que c’est bon pour votre business.