Tribune
Malgré la montée en puissance des considérations écologiques, des incohérences persistent et de nombreux Français peinent à systématiser leurs comportements écoresponsables. Comment expliquer ce « green gap » et remédier à ce fossé entre les utopies écologiques et les pratiques ?

La nécessité d’agir face à l’urgence climatique est sans conteste devenue une préoccupation majeure de la société. L’Observatoire des perspectives utopiques le confirme en montrant une nette aspiration des Français vers des attitudes pro-environnementales en privilégiant une consommation plus raisonnée (moins mais mieux), des produits plus écologiques, locaux, faits soi-même, en circuit courts… Néanmoins, ces déclarations sont parfois en décalage avec la réalité. Pourquoi les achats de mode fast fashion continuent-ils de croître ? Les bazars, temple de l’hyperconsommation, connaissent toujours de beaux succès, à l’image de l’enseigne néerlandaise Action.

Oui, changer ses routines demande un effort incontestable qui freine parfois les consommateurs, particulièrement dans leurs achats du quotidien. Ajoutons que notre société postmoderne est caractérisée comme la société du moindre effort : «je veux tout, tout de suite, maintenant, sans difficulté». Or, acheter des produits écoresponsables est parfois moins aisé, en termes de temps (pour faire les produits soi-même par exemple), en termes d’organisation (quand on achète des produits en vrac par exemple). Certains produits sont plus difficiles à trouver ou avec un choix plus réduit, notamment dans la mode. Pour inciter à changer les habitudes, il faut donc réduire au maximum les contraintes associées à l’achat de ces produits. C’est le sens du «choice editing» que peuvent mettre en place des distributeurs en mettant davantage en valeur les produits verts et sains.

Le consommateur est aussi profondément égocentrique. Son choix est souvent dicté en priorité par des raisons individuelles : faire une bonne affaire, préserver son pouvoir d’achat, améliorer son confort, protéger sa santé, avoir du plaisir… Pour inciter les consommateurs à acheter de manière écoresponsable, les produits et services doivent proposer un «bouquet de bénéfices» mêlant des bénéfices individuels (financiers, santé, performance, hédonistes, statutaires) et des bénéfices environnementaux. Le succès de l’application Too Good to Go tient en partie au fait qu’elle associe des bénéfices environnementaux (limiter le gaspillage) avec un bénéfice monétaire (acheter moins cher les invendus). De même, l’une des premières raisons de consommation de produits bio est de préserver sa santé, ce qui peut en partie expliquer sa croissance majeure.

Pression sociale

Dans notre société narcissique, face aux écrans et aux réseaux sociaux, la valorisation de soi, son image sociale, peut être aussi un levier pour inciter à transformer les comportements. La pression sociale exercée par le mouvement «flygskam» (en suédois, la honte de prendre l’avion) s’est traduite en Suède par un essoufflement du trafic aérien (particulièrement national) au profit du train. Par le marketing incitatif (nudge marketing), si les consommateurs prennent conscience au moment de l’acte d’achat que leurs voisins ont adopté un comportement responsable, ils auront davantage tendance à les copier.

Un bémol cependant : les individus sont aussi de plus en plus déviants et sceptiques par rapport aux produits dit verts ou aux entreprises qui communiquent sur leurs vertus durables. Comment être sûr que le produit que j’achète est écoresponsable ? Est-ce uniquement un argument de vente ? Face à la défiance, la désinformation et la surinformation, la nature de l’information transmise et la manière dont elle est véhiculée est clé. Les informations doivent être concrètes, fiables, mais aussi compréhensibles pour le consommateur sur l’impact tangible des produits. C'est le cas par exemple en apportant des ordres de grandeur, en valorisant des sources d’information tierces indépendantes comme les labels (même si l’on sait que la profusion des labels crée de la confusion), ou des applications mobiles sans vocation commerciale directe (à l’instar de Yuka ou Buy Or Not).

Face à l’individu postmoderne (individualiste, centré sur sa jouissance immédiate, minimisant ses efforts), enfermé dans des contraintes matérielles, sociales et symboliques, l’argument marketing écologique n’est donc pas suffisant pour verdir la consommation. Reste à savoir si les autres leviers évoqués, qui vont dans le sens du consommateur sans le bousculer, suffiront à faire changer les comportements assez vite, face à l’urgence environnementale et climatique.

 

Adeline Ochs est auteure du chapitre « Des utopies aux comportements : le green gap » dans l’ouvrage Utopies et Consommation (EMS Editions).

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