La multiplication des produits, voire des marques, sans marque est l’aboutissement d’un long processus de délitement du contrat de confiance qui, jusqu’à il y a peu, unissait marques et consommateurs. Une succession de dysfonctionnements qui se traduit par une défiance grandissante envers les marques. Cette défiance a d’abord profité aux produits labellisés «bio» et «locaux», puis aux produits «éthiques», à ceux «sans protéines animales» et aujourd’hui au label ultime : le «sans marque».
Les frugalistes, à l’avant-garde de cette défiance, se sont lancés à la recherche du produit perdu, à la recherche du produit brut, pur, transparent, celui qui laisse éclater sa vérité intrinsèque, qui laisse les afféteries et le coût du marketing au placard, vierge de toute mention suspecte – de toute mention tout court, d’ailleurs. Le produit qui tombe le masque du marketing serait donc à la fois le moyen de resigner un contrat de confiance avec cette frange de consommateurs qui, d’une certaine façon, préfigurent des tendances à venir et, ironiquement, une nouvelle façon de faire du marketing.
La marque, qui a pourtant longtemps été le moyen le plus simple pour le consommateur de faire des choix rapides et sûrs entre plusieurs produits (ne plus avoir à comparer rationnellement l’infinité de choix qui s’offre à lui), est devenue un signe trop encombrant. De signe, il en est pourtant toujours question. Les produits sans marque – un shampoing qui s’appellerait «Shampoing», par exemple – sont aux frugalistes ce que le Dom Pé est aux «Rich Kids» d’Instagram, une consommation signifiante. C'est une façon d’exister, d’appartenir à une communauté choisie en adoptant certains signes et en en abhorrant d’autres.
Le produit serait-il donc l’avenir des marques ?
Alors le marketing, pour continuer d’exister, a dû disparaître. Une nouvelle fois. Aujourd’hui, les produits sans marque séduisent ceux qui ont les moyens de vivre en dessous de leurs moyens, mais c’est bien tout ce qu’il y a de neuf sous le soleil. Il y a 40 ans, l’employé le plus célèbre de la tour Havas lançait pour Carrefour Les Produits Libres – des produits de qualité à des prix débarrassés du mark-up marketing. Cette approche avait déjà du retard sur celle – pragmatique – de ses concurrents allemands : Aldi et Lidl ont, eux, toujours travaillé le produit avant la marque. Des prix bas, Édouard Leclerc disait à l’époque que les pauvres en ont besoin et les riches en raffolent. Il n'y a pas grand-chose de neuf, donc, même s'il n'est pas sûr aujourd'hui que les plus pauvres aient les moyens de s’offrir les nouveaux produits sans marque.
Alors, de quoi les marques sans marque sont-elles le nom ? Les plus cyniques y verront l’aboutissement du marketing, sa meilleure blague, l’anti-marketing marketé. Les autres, la majorité, devraient y voir un impératif, l’obligation de revoir la façon dont nous construisons les marques en nous rappelant que ce sont les produits qui les construisent et pas l’inverse. C’est même la façon la plus simple de bâtir des marques, de confiance. Bienvenue dans l’ère marketing du produit retrouvé.