La marque est vivace. L’évocation de son nom à la cantonade reçoit forcément un écho, qui plus est, favorable. Juste retour pour Atari, crédité, tout de même, d’avoir créé l’industrie du jeu vidéo : d’abord avec la borne d’arcade Pong en 1972, puis avec la première console de salon, l’Atari 2600, en 1977. Volumes écoulés : 40 millions, plus que la première Xbox de Microsoft. Son autre nom était VCS pour Video Computer System. C’est sous ce blase historique que l’entreprise espère renaître... mais dans une industrie qui a grandi sans elle. La société n’avait pas résisté à la concurrence de Sega et Nintendo dans les années 1980 et 1990.
Avec 17 salariés au dernier recensement, l’ex-numéro 1 mondial du jeu vidéo revient par la petite porte du financement participatif. En avril, Atari tentera de convaincre, comme n’importe quelle start-up, de précommander sa « box ». Avec un prix attendu entre 250 et 300 dollars, le moins que l’on puisse dire est que la TPE bombe le torse. « Nous voulons apporter le meilleur du monde du PC sur la TV, avec la possibilité de jouer aux anciens jeux mais aussi aux plus récents », clame Frédéric Chesnais, PDG d’Atari depuis 2013 et sa prise de contrôle de 25 % du capital pour 400 euros. « Nous allons dépasser le jeu et offrir de la musique et de la vidéo », ajoute-t-il, comptant sur la campagne de crowdfunding pour « calibrer » son offre.
Atari pas d'éloges
Sur le papier, celle que Frédéric Chesnais refuse de qualifier de console (son nom de code était « Atari box ») ne présente rien de nouveau sur l’offre existante, représentée pêle-mêle par des TV connectées, consoles, mini PC de salon voire box de fournisseurs d’accès internet. Comme au jeu de go, le joueur en position d’Atari n’a plus qu’une direction possible. Ici, l’image de marque. « Atari est une de ces marques légendaires dont le nom ne mourra jamais car elle a inventé un marché », estime Florent Gorges, spécialiste de l’histoire du jeu vidéo. La campagne de financement participatif n’est pas encore lancée qu’elle a déjà récolté 125 000 inscriptions, à la seule force d’une réputation pourtant ancestrale. Si la société gagne aujourd’hui sa croûte avec des jeux de casinos aux États-Unis, elle jouit encore d’une cote d’amour importante. Sa présence à la Game Developers Conference de San Francisco fin mars a généré une bonne dose de retombées presse et une trentaine d’interviews internationales pour son PDG. Pour lui, une bonne partie de la com est ainsi déjà faite. Il faut dire que les vents sont favorables.
En écoulant 2,3 millions de NES Mini et plus de 4 millions de Super NES Mini, Nintendo s’est surpris lui-même en 2017 devant le succès décoiffant des rééditions de ses consoles historiques. « Beaucoup de ces produits nostalgiques, auxquels nous pouvons ajouter le Polaroid ou le disque vinyle, se sont lancés autour d’un revival très lié à la culture hipster, analyse Clément Scherrer, directeur du planning stratégique de l’agence Buzzman. Même si cette culture a du plomb dans l’aile, le vintage subsiste car c’est le patrimoine du jeu vidéo qui est en train de se créer. » Kendrick Lamar n’a pas remplacé Les Beatles, pourquoi les Space Invaders succomberaient-ils à Call of Duty ? « La génération qui jouait à l’Atari 2600 a 40 ans aujourd’hui. C’est elle qui est aux manettes de l’économie, elle a le pouvoir d’achat et elle veut partager ces moments avec ses enfants », commente Florent Gorges. Un partage que ne dément pas Victor Perez, patron de l’agence Reset RP et du Reset Bar à Paris, où il dénombre beaucoup de clients âgés d’à peine 25 ans, « qui retrouvent dans ces vieux jeux des mécaniques repopularisées par les smartphones ». Le rétrogaming s’installe dans le paysage. Il a même pesé 9 % des volumes de consoles écoulées en France en 2017, selon le syndicat des éditeurs de jeux (Sell).
En mode hardcore
Mais Atari risque de passer sous les fourches caudines du crowdfunding, où meurent de nombreux projets à l’image de la console Ouya, qui avait récolté 2,5 millions de dollars en 24 heures. Pour gagner sa partie, Atari ne pourra pas compter que sur les deniers de ses fans. « Pour avoir du volume, le bouche-à-oreille ne suffira pas. Il faut un accélérateur média pour un reach fort », rappelle Sébastien Genty, directeur général du planning stratégique chez DDB Paris, habitué à travailler pour l’éditeur de jeux Ubisoft. Coup de chance, Atari a bénéficié d’une exposition inattendue dans le blockbuster Blade Runner : 2049, et doublera la mise comme invité surprise dans Ready Player One de Steven Spielberg. Mais le temps est loin où le même Steven Spielberg signait la publicité du jeu E.T. pour Atari… « C’est eux qui ont inventé tous les codes publicitaires du jeu en ciblant non pas les enfants mais les parents. Pac-Man est même le premier jeu à avoir eu ses propres produits dérivés », reconnaît Philippe Dubois, président du « musée du jeu vidéo » MO5. Mais cette fois, le budget ne permettra pas de TV. « Même du digital, cela reste très cher. Une campagne de lancement d’un jeu grand public sur Facebook, cela n’a peut-être l’air de rien, mais cela atteint déjà 20 à 40 millions d’euros », tempère Victor Perez. L’autre limite concerne l’offre vidéoludique. Le portefeuille de titres classiques est trop rudimentaire pour justifier un tel prix, et existe déjà sur mobile. Pour les titres récents, cela dépendra de la capacité d’Atari à attirer des développeurs indépendants – sa cible avouée. Mais on sait que celle-ci n’accepte un tel chantier que si l’exposition est suffisante. Or, ces temps-ci, ils visent plutôt la Nintendo Switch. En ciblant les trentenaires avec des jeux exclusifs, indés mais aussi rétros, celle-ci bat tous les records.