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Avec la parution de son livre blanc prospectif sur la disruption, l’agence Rapp dessine les nouveaux contours du rôle des marques. Amenant le concept de «game changing», Rapp insiste sur une redéfinition de tous les modèles, qu’ils soient producteurs ou consommateurs.

«Personne n’a jamais inventé l’automobile en perfectionnant la race des chevaux.» C’est ainsi que commence le livre blanc baptisé «Game changing: bienvenue dans l’ère de la rupture» de l’agence Rapp, spécialisée dans les interfaces digitales, la stratégie social media et les stratégies PRM et CRM. Huit contributeurs ont participé à l'ouvrage parmi lesquels Stéphane Hugon, sociologue et fondateur de l’agence Eranos, Marc Lalande, directeur du planning stratégique de Rapp ou encore Yann Aledo, cofondateur d’OpinionWay. Les huit thèmes développpés tournent tous autour de la disruption. «Nous sommes à un moment charnière dans la transformation de nos modèles, mais les marques ne l’embrassent pas suffisamment, estime Philippe Bonnet, le président de Rapp. C’est pour cela que nous avons fait paraître ce livre.» Dans un contexte sociologique fort, Stéphane Hugon estime que «les douze dernières années ont prouvé que la société va plus vite que les marques», mettant ces dernières «en difficulté». Alors le «game changing», quésaco?


Des acteurs trop timorés

«Il faut considérer le prisme de la rupture non plus seulement comme un problème binaire mais comme libérateur d’énergie. C’est de cette façon que s’effectuent toutes les grandes transformations de notre monde», déclare Philippe Bonnet. En effet, le secteur dans sa globalité a longtemps pensé que cette disruption ne toucherait que certains pans de l’économie comme les millennials ou le luxe. D’après Stéphane Hugon: «Entre la révolution industrielle et 2004, la règle du jeu a toujours été la même pour les marques. Sauf qu’à un moment, la culture populaire s'est emparée du digital, ce qui a considérablement rebattu les cartes.» C’est pour matérialiser cette disruption totale que Rapp parle de «game changing».

Avec des surprises chez des acteurs que l'on aurait cru plus innovants. «Une marque comme Airbnb ne crée plus suffisamment de rupture sur un marché de la location totalement disrupté. Elle s’aperçoit qu’elle doit insister sur l’immatériel [par exemple les nouveaux services qui permettent de réserver des activités –appelées “expériences”] et s’adapte petit à petit en emprutant des concepts à l’hôtellerie», rappelle Marc Lalande.

De manière générale, selon Stéphane Hugon: «L'habitude consiste souvent à ne pas bouger, à attendre la crise. Car tant que le risque n’est pas vital, les gens ne changent pas. Le secteur bancaire, après la crise de 2007, en est un bon exemple.» Suite à une énorme crise de défiance envers les banques, les mutualistes ont créé une nouvelle forme de relation sociale. Ce qui était leur faiblesse hier (celle de ne pas rechercher le profit à tout prix) s’est avéré être une force dans un environnement bouleversé. Mais le sociologue prévient: «Il faut faire attention avec ces mutations et les prendre au fur et à mesure, car lorsqu’une entreprise se crispe et tente d’avancer trop vite, elle finit toujours par perdre.»


De l’individu à la tribu
La tendance est à l’abandon du “user centric” au profit des communautés. «Le consommateur individuel n’existe plus. Chacun doit désormais être pris dans un contexte d’influence», explique Stéphane Hugon. Avec l’avènement des réseaux sociaux et des influenceurs, les marques cherchent à se recentrer sur ces cercles d’influence grâce à leur relation avec les consommateurs. Le sociologue voit la relation intime entre les marques et les consommateurs comme «utile car permettant d’identifier des groupes et des territoires à conquérir pour les annonceurs», le «user centric» ayant été «dépassé au profit de ce que l’on peut qualifier de marketing relationnel». Ainsi l’individu disparaît au profit de la «tribu». Marc Lalande abonde: «Il y a des constantes, comme le rappelle René Girard dans son ouvrage Le désir mimétique. Un individu seul ne peut définir son histoire et a besoin des autres pour exister.» Cette donnée se couple avec une prise de pouvoir du consommateur sur le marché, forçant les marques à s’adapter et non plus l’inverse. «Le consommateur est maintenant en capacité d’imposer des choses comme avec l’avènement du RGPD, par exemple. Cette mutation est fondamentale car elle oblige les marques statutaires à se repenser. Personne n’est à l’abri!», annonce le président de Rapp. Selon lui, cette co-construction avec l’utilisateur est «une résultante vertueuse enrichissant chaque camp». En acceptant de satisfaire les consommateurs, les marques peuvent ainsi enrichir leur data, en les poussant à donner des informations qu’ils n’auraient pas fourni d’eux-mêmes.


Un rôle plus complet
Que les marques soient rassurées. Pour Marc Lalande: «Même si les gens prennent conscience petit à petit de la puissance du réseau, il est clair qu’ils auront toujours besoin d’une marque. Mais il faut que les marques insistent sur des valeurs de contenu plutôt que de branding.» Attirées par le modèle des Gafam, elles perdent leur pré carré en devenant des vassales de Google ou d’Amazon. N’étant plus émettrices, elles se coupent de la potentialité de choisir leur message et la manière dont il sera relayé. «Il y a un véritable risque d’appauvrissement de la narration à cause de ces modèles, car l’orientation technique des données nous coupe de l’imaginaire», avoue Stéphane Hugon. Pour y faire face, les marques s’associent à des artistes afin de recommencer à raconter de belles histoires. «Il faut que les marques réenchantent l’imaginaire des consommateurs car c’est comme cela qu’elles sont le plus porteuses de sens», poursuit-il. Selon Marc Lalande: «Pour qu’une marque fonctionne, il faut qu’elle soit “affordante” [capacité d'un objet à suggérer son utilisation]. Si vous disposez de la meilleure offre mais que le consommateur ne la comprend pas, cela ne sert à rien.» Une vision globale est donc la condition sine qua non, ce que rappelle Philippe Bonnet: «Cette approche permet d’élever tous les acteurs. Nous construisons des systèmes de création et non plus seulement des réponses créatives.»

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