Pendant trois saisons sur Canal+, le Jamel Comedy Club (la troupe de Jamel Debbouze) a mis en vedette le «stand-up», cette forme de comique à la première personne très prisée des Américains. Puis le public et les professionnels, surtout, se sont lassés. «Les mêmes thèmes et les mêmes exemples revenaient trop souvent, explique Christelle Graillot, tête chercheuse de nouveaux talents pour Canal+, en charge de la cellule Repérages. Cela a donné une vision trop restreinte du stand-up, assimilé à du comique de banlieue.» Depuis, le genre a aiguisé ses vannes et repris le chemin des salles de théâtre, dans lesquelles les spectacles de ce type sont de plus en plus nombreux, jusqu'à s'immiscer dans les one-man shows des grands noms du comique français. «C'est devenu un genre très ouvert, à l'image de ceux qui le pratiquent désormais, du jeune Baptiste Lecaplain à Gad Elmaleh, en passant par le comte de Bouderbala, estime Christelle Graillot. Le mélange entre stand-up et sketchs est une des tendances du moment.»
Un micro à la main comme accessoire emblématique, l'artiste de stand-up s'adresse directement au public. Contrairement aux pièces de théâtre et aux one-man shows, il n'y a pas de «quatrième mur» imaginaire qui séparerait le comédien du public. «C'est un spectacle à l'américaine et moderne, souligne Christelle Graillot. L'improvisation et l'interaction avec le public sont beaucoup plus fortes que lorsque l'on joue des personnages.» Les performances suivent un fil conducteur, sans pauses. Sur scène, les humoristes de stand-up racontent leur vie, la société qui les entoure et l'actualité du moment. «Cela donne une performance très dynamique et moins posée que le one-man show», note Christelle Graillot. À l'inverse, le one-man show, genre traditionnel du comique français, se compose d'une succession de saynètes, pas toujours liées entre elles et entrecoupées de pauses, appelées des «noirs». Le «seul en scène», une nouvelle forme de représentation comique, a également fait son apparition. «Elle revêt un côté plus théâtral et intellectuel, tout en restant proche du stand-up», précise Christelle Graillot. Le spectacle de Guillaume Gallienne, Les Garçons et Guillaume, à table !, se situe dans cette veine.»
A la fois sensible et réactif
Sami Ameziane, alias le comte de Bouderbala, artiste français de stand-up qui se produit au Petit Gymnase, à Paris, a joué aux États-Unis, la Mecque du genre. Après avoir participé à la première saison du Jamel Comedy Club sur Canal+, le comte de Bouderbala a transposé son spectacle en américain et pris la direction de New York en 2006. Il tourne alors dans le circuit des «comedy clubs» new-yorkais, ces salles dans lesquelles les gens boivent un verre et dînent en écoutant du stand-up. «Les États-Unis baignent dans la culture du stand-up depuis longtemps, assure le comte de Bouderbala. Pour eux, les sketchs sont obsolètes. Ils sont tellement imprégnés de pragmatisme qu'ils ne comprennent pas que l'on puisse jouer un sketch sans s'adresser au public.» Car l'humoriste parle à la première personne. «Dans le stand-up, tu es toi-même, sans le masque d'un personnage, explique Baptiste Lecaplain, valeur montante de cette discipline, actuellement sur scène au théâtre du Temple, à Paris, avec Baptiste se tape l'affiche. L'esprit est celui d'une soirée entre potes au cours de laquelle tu délires. On a l'impression que c'est improvisé, mais tout est écrit !»
Le genre est à la fois sensible et réactif à l'actualité et aux marques du moment, si bien que le contenu des spectacles évolue rapidement. «Si un sujet fait un très gros buzz, je l'inclus dans mon spectacle, confie Baptiste Lecaplain. Cela a été le cas avec le carton de Facebook. Et si un humoriste l'a déjà abordé, je cherche d'autres angles d'attaque que les siens. En ce moment, je travaille sur le rapport à l'Histoire de Facebook. Si ce réseau social avait existé pendant la Seconde Guerre mondiale, Staline aurait peut-être rejoint le groupe des “ce n'est pas parce que l'on porte une moustache que l'on est antisémite”…» À l'inverse, les thèmes démodés disparaissent immanquablement. «J'avais trois minutes de vannes sur la tecktonik et je les ai enlevées au début de l'année 2009, au moment où les gens riaient moins, note Baptiste Lecaplain. Autre exemple dans la télé-réalité, les vannes sur Mickaël Vendetta [candidat à La Ferme des célébrités en Afrique] seront hors de propos au bout d'un an.»
Rupture avec le comique traditionnel
L'art de la vanne est un ingrédient essentiel. Il permet de se rattacher aux conversations entre amis dans la vie quotidienne et d'être efficace devant son public. «Dans le stand-up, les vannes rythment le rire, assure le comte de Bouderbala. J'aborde les sujets en trois temps : je les présente, je les développe et je sors une vanne qui synthétise leur intérêt.» Un stand-up incisif doit maîtriser le sens de l'à-propos. «Les gens reçoivent un trop-plein d'informations, ils ont besoin de temps pour les digérer, analyse le comte de Bouderbala. Si tel n'est pas le cas le soir du spectacle, cela ne fonctionne pas.»
Souvent cité comme un précurseur de ce genre de spectacle en France, Guy Bedos n'a pas employé sa verve pour répondre à nos demandes. Dans un exercice d'auto-interview pour le Cirque d'hiver, à Paris, il disait à propos de la discipline : «J'ai été longtemps le Monsieur Jourdain de ce qu'on appelle la stand-up comedy, le stand-up, comme ils disent. Au fait, c'est Jamel Debbouze qui m'a appris l'expression, j'apprends l'américain avec les Arabes !» Par sa rupture avec les codes du comique traditionnel, le stand-up s'accompagne d'un effet générationnel. «Les jeunes qui ne se rendaient pas au théâtre pour des pièces de boulevard y vont pour voir du stand-up, remarque Christelle Graillot. Par exemple, le public de Baptiste Lecaplain est plutôt jeune. Les marques sont des références qui leur parlent et qu'ils aiment. Mais le phénomène s'étend aussi aux humoristes de stand-up qui sont de plus en plus jeunes. Mustapha El Atrassi [qui officie dans la matinale de NRJ] avait dix-sept ans à ses débuts et Kev Adams en a dix-huit. Malgré leur âge, leur regard sur la société est très aiguisé.»