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Si l’univers de la beauté sur Youtube a longtemps été le terrain de la consommation à outrance, depuis quelques mois, les thèmes éthiques sont en plein essor. Les attentes du public pour des produits sains et naturels sont de plus en plus fortes et les marques de cosmétiques adaptent leur communication.

La marque L'Oréal Paris pensait-elle déclencher un tel mouvement en organisant son «opération transparence» à Lyon le 22 mars dernier? Ce jour-là, elle embarque une vingtaine de youtubeuses françaises pour une visite complète du laboratoire Episkin, spécialisé dans les méthodes alternatives de tests de produits cosmétiques sur des peaux reconstruites… au lieu de les tester sur les animaux.

«Ce type de journées portes ouvertes, on en organise depuis longtemps mais plutôt à destination d’un public de professionnels, de journalistes notamment. Dans une volonté de travailler de plus en plus avec des relais d’opinions différents, plus larges et complémentaires, nous avons décidé de convier des youtubeurs pour leur donner les clés de compréhension, les arguments, qui pourraient leur permettre de répondre aux questions de leur communauté sur ces sujets», assume Delphine Buchotte, directrice communication et digital à L'Oréal Paris.

Parmi ce petit groupe d’influenceuses, la puissante Marie Lopez (Enjoy Phoenix, près de 9 millions d'abonnés sur tous ses réseaux sociaux) fait partie du voyage. De retour chez elle, et convaincue par le discours de la marque avec qui elle entretient de réguliers partenariats, elle tourne rapidement un «vlog» pour faire part de ses découvertes. La vidéo, intitulée «Est-ce que L'Oréal teste sur les animaux?» devient instantanément l’objet de débats enflammés sur les réseaux sociaux. Un véritable déferlement qui conduit Enjoy Phoenix à lancer un appel aux youtubeuses afin d’organiser une interview vidéo de la directrice scientifique de L'Oréal pour poser, en direct, toutes les questions qui fâchent.

Paradoxe?

Le sujet n’est pas ici de dire si oui ou non L'Oréal et les autres marques de cosmétiques sont «cruelty free» (sans cruauté, voir encadré), les règles en la matière sont opaques et mouvantes. Mais plutôt de relever l'essor dans l’univers policé de la beauté sur Youtube des sujets éthiques et du véganisme (mode de vie alliant une alimentation exclusive par les végétaux et refus de consommer tout produit issu des animaux ou de leur exploitation). Un paradoxe? «Non, on peut être passionné de la mode et du maquillage tout en agissant de manière responsable», répond la youtubeuse Coline qui a fait de la cause animale et du véganisme un des axes principaux de sa ligne éditoriale, notamment par sa série «Bienvenue en véganie», lancée en janvier dernier (Lire notre portrait). «Je ne me considère pas comme porte-drapeau de ce combat sur Youtube. Toutefois, j’ai envie de “profiter de ma communauté” et de l’impact que je peux avoir pour évoquer les thèmes qui sont importants pour moi».

Coline fait partie de ces youtubeuses qui choisissent avec vigilance les marques avec qui elle travaille. «J’ai été en partenariat pendant des années avec Bourjois, cela n’arrivera plus. De même que L'Oréal. Quand je suis devenue végane, j’ai envoyé de nombreuses lettres aux services de communication pour leur signifier que je ne souhaitais plus recevoir leurs produits. Mon univers ce sont les petits créateurs made in France, engagés et éthiques. Des marques bio, naturelles, cruelty free, à l’instar d’Ekyog, avec qui j’ai conçu une collection capsule l’été dernier», détaille la jeune femme.

Au coeur de cette tendance, il y a différents degrés «d’engagement»: les youtubeurs 100% vegans (Georgia Secrets, La Cosméthèque, Et Pourquoi pas Coline…), les youtubeurs très attentifs à ces thèmes (Pastel, Safia Vendome…) et ceux qui commencent régulièrement à évoquer ces questions, c’est le cas d’Enjoy Phoenix qui révélait récemment, dans ses bonnes résolutions de l’année, envisager de devenir végane.

Touchy

«C’est un sujet très sensible sur Youtube, prévient Florence Dupont, brand content manager au sein de l’agence Influence4you. D’ailleurs, même des youtubeuses qui ne se revendiquent pas du tout véganes ou végétariennes sont régulièrement au coeur de bad buzz dans les commentaires dès qu’elles promeuvent des produits suspects, elles s’attirent les foudres de leur communauté», explique la spécialiste. A la différence des égéries des spots télévisées ou des affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux, les commentaires sont adressés directement à l’influenceuse qui promeut tel produit. «Ce ne sont pas des actrices, elles veulent se montrer naturelles, comme elles sont vraiment, dans des vlogs ou des vidéos dans leur chambre», note Florence Dupont.

Alors pour Adrien Torres, planneur stratégique chez BETC, «attention»: «lorsqu'une marque souhaite se lancer dans un sujet aussi ‘‘touchy”, il est très important de bien connaître l’égérie à qui elle s’adresse. La communauté de Coline n’est pas la même que celle de Georgia Horackova (Georgia Secrets) ou de Marie Lopez (Enjoy Phoenix). Leurs cibles ne sont pas non plus identiques. Nous sommes dans un contexte de retour à l’authentique, dans la beauté, l’alimentation, ou la mode. Ce sont des enjeux de marques très importants, et il est très difficile pour elles de contrôler cela à tous les niveaux de prises de paroles».

«Au delà de Youtube, de plus en plus de personnes sont touchées par ces causes, c’est un phénomène global. Les youtubeurs s’en font naturellement l'écho. Cette tendance nous a donné envie de communiquer différemment», confie Delphine Buchotte. Car faire appel à des youtubeuses, c’est s’adresser à de fortes communautés, un canal puissant pour une marque.

Cet essor représente en tout cas une vraie carte à jouer pour les petites créateurs éthiques, bio, naturel, etc. Parallèlement, certains grands groupes se sont lancés dans des stratégies d’acquisitions de marques très engagées sur ces thématiques, à l'instar de The Body Shop, filiale de L'Oréal, entièrement cruelty free. «Je pense que cette tendance peut aboutir à une véritable prise de conscience sur Youtube, assure Coline. Les marques évoluent. Je sais qu’elles y travaillent. Si un jour toutes les youtubeuses sont attentives à ces causes, il est évident que les marques devront s’adapter. Plus on est nombreux plus cela aura d’impact. Les youtubeuses portent la voix de leur communauté, et ça les marques le savent.»

La faille dans la réglementation

«Cruelty free» signifie «sans cruauté» et désigne des produits qui n’ont pas été testés sur les animaux. Le terme végan signifie qu’un produit ne contient pas d’ingrédients d’origine animale, par exemple du miel ou du lait d'ânesse. Depuis mars 2013, les tests sur les animaux, sur produits finis ou sur les ingrédients, sont interdits en Europe. Cependant, cette loi est assortie d’une petite réglementation baptisée «reach» qui pourrait «autoriser» les marques, à partir du moment où elles vont produire un nouvel ingrédient à plus d’une tonne, à le tester sur les animaux. De plus, cette loi de mars 2013 ne concerne que les cosmétiques. Dès lors, les produits pharmaceutiques, utilisés comme cosmétiques dans certains contextes, n’y sont pas soumis. Aussi, cette loi est européenne. Or, certains pays continuent d’imposer les tests sur animaux pour les marques étrangères qui souhaitent vendre sur le territoire. L’exemple le plus connu est la Chine. Même un produit français qui ne contient aucun ingrédients testé sur animal devra l’être pour être commercialisé sur le sol chinois. Enfin, il faut rappeler que les produits ayant été testés sur les animaux avant la loi peuvent continuer d’être commercialisés.

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