Société
Alors que les politiques et les penseurs s'intéressent de plus en plus à la condition animale, on remarque en parallèle, chez les individus, un désir de retour au pulsionnel, à l'animalité. L'animal est-il un homme comme les autres? Ou l'homme un animal comme les autres?

De nos jours, lorsqu'on tient ce genre de propos, on risque de se faire mettre à la porte des dîners comme il faut: «Un homme qui n’aime ni les enfants ni les animaux ne peut être tout à fait mauvais.» Si l’aphorisme de W. C. Fields - pourtant d’un mauvais esprit délicieux - est susceptible de faire rugir les convives, c’est tout bonnement, comme le résume Benoit Lozé, directeur du planning stratégique de Havas Paris, parce qu'«au XXIe siècle, l’animal est un homme comme les autres».

«Il y a quelqu’un derrière la fourrure et les plumes…» Selon des philosophes comme Corine Pelluchon, qui publiait en janvier dernier une tribune dans Libération intitulée «La cause animale est la cause de l’humanité», les animaux sont des individus, doués de sensibilité que l’on doit respecter comme tels. Jadis raillée, identifiée aux dérapages de Brigitte Bardot, la cause animale interpelle les responsables politiques français sur des questions comme l’élevage, la chasse ou la corrida, alors que le 14 novembre 2016, le Parti animaliste voyait le jour.

Anthropomorphisme

Quoi qu’il en soit, « lorsqu’on étudie les tendances 2017, au même titre que la postvérité, le bien-être animal fait partie des nouveaux sujets d’engagement sociétaux, même s’il n’a pas encore émergé en publicité, du moins en France », expose Benoit Lozé, directeur du planning stratégique de Havas Paris. Contrairement à la Grande-Bretagne, où McDonald’s s’engage à ne plus utiliser des œufs de poules en batterie avec le spot « Tree » et où la chaîne de distribution Waitrose équipe ses vaches d’une « cow cam » dans le spot « Camera » afin de montrer à quel point ses ruminantes sont choyées. De son côté, la marque américaine Impossible Foods vient de lancer un burger pour les amoureux de la viande dont le steak n’a fait souffrir aucun bœuf, puisqu’il est constitué de plantes…

Le bien-être des animaux, une préoccupation poussée parfois si loin qu’on tombe dans le syndrome du chien chien à sa mémère. « La France compte 63 millions d’animaux de compagnie, un marché dans lequel 10 % des chiens et des chats disposent de comptes Facebook ou Instagram, souligne Benoit Lozé. On constate une humanisation du marché: Aristide, « hôtel pour félins urbains », vient d’ouvrir à Paris. Tindog, le Tinder pour les chiens, permet à leur propriétaire de se rencontrer, d’échanger et d’organiser des rencontres plus précises entre leurs animaux. L’application est présente dans 44 pays avec 10 000 téléchargements, tandis que la chaîne DogTV est proposée sur le bouquet Orange. »

Identification

Voilà qui aurait certainement fait bondir Gilles Deleuze, qui dans le « A comme Animal » de son Abécédaire décrétait que «l’important, c’est d’avoir un rapport animal avec l’animal ». Avec Félix Guattari, le philosophe conceptualisait le « devenir animal», élan qui mènerait à l’impulsion créative, à l’invention de mondes inédits.

Désir de pulsionnel, envie de retour à l’instinct animal… En parallèle des mouvements de protection des bêtes, les individus se seraient-ils lancés dans une recherche atténuée du « devenir animal » cher à Deleuze ? Thibaut Nguyen, directeur Trends & Prospective d’Ipsos Public Affairs, qui a piloté l’étude prospective Trend Observer 2017, constate en tout cas « une identification de plus en plus forte aux figures animales. Dans les chambres d’ados, on trouvait traditionnellement des posters des gratte-ciel de New York. Aujourd’hui, ils ont été remplacés par des affiches de lions ».

Paradoxe. « D’un côté, on se pose comme un modèle de civilisation puisqu’on réfléchit à la condition animale et aux questions antispécistes, relève Fabien Le Roux, planneur stratégique chez BETC. De l’autre, on aimerait revenir à une nature dénuée de toute civilisation, à un ordre ancien, via des modes comme le régime paléo, par exemple. »

Emotion

Mais dans un mouvement opposé à la pensée antispéciste [qui affirme que l'espèce à laquelle appartient un animal n'est pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter et de la considération morale qu'on doit lui accorder], tous les animaux ne sont pas égaux devant les fantasmes d'animalité des humains. « Le loup, animal à la fois solitaire et en meute, est plébiscité, remarque Thibaut Nguyen. C’est un vrai survivant, tout comme le fauve, figure de rébellion, qui revient beaucoup dans les témoignages. » Dans lesquels on trouve peu de libellules, de cloportes. Plutôt du racé, du majestueux. Le haut du panier de la chaîne alimentaire.

Énième signe du narcissisme contemporain ? « Pas seulement, nuance Fabien Le Roux. Quand on paie, a fortiori une coquette somme, on a besoin d’être rassuré. Le luxe a ainsi créé tout un bestiaire : la panthère Cartier, le crocodile Lacoste… Kenzo a fait son grand retour avec son sweat-shirt tigre, tandis que Riccardo Tisci, chez Givenchy, vend des tee-shirts rottweiller à 500 euros. De même, quand Aigle replace l’homme au cœur de la nature, cela s’inscrit dans une stratégie de premiumisation de la marque. »

Plus largement, cet attrait pour le monde animal correspondrait, selon Baptiste Clinet, directeur de la création chez Herezie, « à l’essence même de la consommation. Le sensoriel, l’odorat, le toucher, la pulsion sont primordiaux dans le processus d’achat »« La quête d'animalité, prévient Fabien Le Roux, constitue une facilité publicitaire, qui joue sur le clavier de l’émotion. D’autant que, lorsqu’on interroge les jeunes générations, on s’aperçoit qu’elles ont davantage envie de devenir des cyborgs, des robots... soit l’exact contraire de l’animal. » Tous les goûts sont dans la nature.

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