Contribution
La sérendipité, c’est trouver par un hasard heureux ce que l’on ne cherchait pas. Henri Kaufman a consacré un livre à ce concept précieux, à l’origine de nombreuses inventions.

Les trois princes du royaume de Serendip, ­ancien nom de Ceylan, devenu Sri Lanka, ­seraient fort étonnés s’ils revenaient parmi nous : la sérendipité, ils la vivaient sans le ­savoir. Leur histoire a été narrée dans un conte persan au XVIe siècle, traduit en anglais au XVIIIe siècle et plus ou moins plagié par notre Voltaire national dans ­Zadig ou la Destinée. Alors, c’est quoi la sérendipité, que tout le monde a pratiquée un jour ou l’autre sans le savoir ? C’est tout simplement trouver – par un hasard heureux – ce que l’on ne cherchait pas. Et c’est exactement ce qu’ont fait ces trois princes tout au long de leurs aventures. Leur sens de l’observation, leur générosité, leur goût du risque et leur intuition les ont aidés à résoudre mille difficultés et à se sortir de situations désespérées. Sans le savoir, ces trois princes appliquaient la philosophie d’Héraclite, qui vivait en Grèce 2 500 ans avant J.-C. Je conseille d’ailleurs à tous les créatifs le délicieux petit livre Espérer l’inespérable. Vivre selon ­Héraclite, de Roger von Oech.



Le plaisir de la découverte

La sérendipité c’est un style de vie, une manière nonchalante mais efficace de résoudre des problèmes en attendant que la solution vienne toute seule, différente de ce que la pure logique aurait délivré. On reconnaît le touriste qui ne pratique pas la sérendipité au fait qu’il est bardé de guides, de plans, d’adresses… Il râle souvent car il ne rencontre pas ce qu’il attendait exactement. A l’inverse, celui qui la pratique part à l’aventure, voyage léger et se montre toujours prêt à changer son itinéraire. Il va où ses pieds le mènent. Il ne râle pas car il n’attend rien, sauf le plaisir de la découverte.



La tendance du «self-service»

Personnellement, j’ai, sans le savoir, rencontré la sérendipité pour la première fois quand j’étais ado, en fréquentant la bibliothèque municipale du IIIe arrondissement à Paris. Chaque titre disponible était inscrit sur une fiche bristol et ces fiches étaient classées par auteur dans des boîtes. Après avoir choisi son livre pour la semaine, on allait vers un comptoir derrière lequel officiait la bibliothécaire qui allait le chercher dans les rayons. Puis le comptoir a disparu : les lecteurs avaient désormais accès aux rayonnages de livres. Ils pouvaient toucher les ouvrages, puis les choisir après avoir lu quelques lignes ou pages, découvrant ainsi de nouveaux auteurs… qu’ils ne cherchaient pas. Ce nouveau système de choix qui fait confiance au « client » était issu de la tendance au self-service ; les commerçants avaient compris que les déambulations de leurs clients dans les rayons des magasins augmentaient le panier moyen en favorisant l’achat de produits qui n’étaient pas sur la fameuse « liste de courses ». Même le Club Med a suivi, avec ses buffets et ses tables de huit permettant de faire connaissance avec les autres « GM », invention prémonitoire du speed dating.



Post-il, Viagra, tarte Tatin…

La fréquentation d’internet et l’utilisation des moteurs de recherche nous a appris à naviguer de lien en lien, à l’instar de Tarzan qui, lui, allait de liane en liane. Après quelques minutes de navigation, l’internaute curieux et attentif découvre une pépite qui lui fait oublier l’objet de sa recherche initiale et cette pépite le conduit à une reformulation de son objectif, bien meilleure que la formulation initiale. Google d’ailleurs nous encourage à aller « autre part » en pratiquant ce qu’il appelle une sérendipité programmée. La sérendipité est un état d’esprit que partagent nombre de scientifiques, de créatifs et de marketeurs ; ils ont l’habitude de vagabonder, en sautant par-dessus les murailles érigées dans leur cerveau par notre modèle scolaire, sans oublier leurs rêves d’enfant, en rapprochant des univers disjoints et en ouvrant grand les portes de silos étanches pour ­connecter des concepts qui s’ignoraient. De nombreuses découvertes ont été le fruit d’un hasard heureux rencontrant un esprit préparé : le Post-it­, le Velcro, le four à micro-ondes, le stéthoscope, la Superglue, le Viagra, le Téflon, les antibiotiques, les rayons X, la radioactivité naturelle, l’insuline… Sans oublier les manuscrits de la mer Morte, la pierre de ­Rosette, la grotte de Lascaux, l’armée de Xian, le sauternes, le Carambar et la tarte des sœurs Tatin !



Obélix et la sérendipité

Voici maintenant quelques exemples personnels. Dans les années 1970, je suis allé aux Etats-Unis pour étudier sur place l’implantation des magasins d’électroménager ; et j’en suis revenu avec le concept… de la garantie Darty au-delà de la garantie constructeur. L’idée initiale était d’ailleurs de créer un fichier clients avec les souscripteurs, et non pas de vendre de l’assurance ! Un jour, Albert Uderzo­ me demande de concevoir une campagne pour inciter les publicitaires à utiliser les personnages d’Astérix et ­d’Obélix. C’est en passant devant un tailleur de pierres que j’ai eu le déclic en trouvant ce que je ne cherchais pas à cet endroit : nous ­allions envoyer à 1 000 directeurs de communication un gros pavé en granit numéroté de 1 à 1 000 avec le ­slogan « Obélix a cassé son menhir en mille morceaux » ! Et voilà maintenant comment je mets en œuvre la sérendipité dans ma vie personnelle. J’entre un jour dans un magasin de meubles design pour acheter un fauteuil. Le vendeur me dit que le prix est très élevé car il s’agit d’un fauteuil de créateur. Du coup, cela me donne l’idée de dessiner toute une ligne de mobilier pour ma maison et les diffuser en galerie (ligne Minimals). En écoutant les commentaires des gens regardant mes meubles, j’ai eu l’idée de dessiner des sculptures aux proportions du nombre d’or, et de jouer sur les illusions d’optique. J’ai voulu savoir quelle est la couleur du hasard. Ou comment rendre visible l’invisible. ­Ainsi, avec un ami, nous créons des tableaux sous forme de mosaïques aléatoires ; le résultat est un peu décevant. Alors nous réalisons des tableaux pour voir la couleur des nombres irrationnels tels que racine de 2, Pi, le nombre d’or, etc. La sérendipité m’a également accompagné quand j’ai voulu acheter une maison en Bretagne. L’agence m’a demandé des précisions. À court d’inspiration, j’ai dit que je voulais une maison avec un pommier et un tilleul. La deuxième maison que l’on m’a présentée possédait son pommier et son tilleul. Je l’ai achetée immédiatement… sans même vouloir la visiter !



Croyez en votre bonne étoile !

En conclusion, la sérendipité est une réification de la chance. Elle nous fait quitter gentiment notre zone de confort tout en alimentant notre curiosité qui est le carburant de notre joie de vivre. Je la résumerai avec cet acrostiche : la Sérendipité peut guider votre vie. Évitez de courir sur des chemins qui mènent à des culs-de-sac. Ruminer le passé ne sert à rien. Regardez vers l’avenir. Et n’oubliez pas que le beau temps succède toujours à la pluie. Ne fermez ni vos yeux ni vos oreilles : la chance est peut-être en train de passer derrière vous. Donnez avant de recevoir, soyez généreux. Imprévu, changement de programme : ce sont peut-être de bonnes surprises. Parce que la fée Sérendipité veille sur vous, croyez en votre bonne étoile. Intéressez-vous à tout ce qui paraît insolite ou inhabituel. Tirez parti des bonnes choses de la vie. Et pensez en permanence à la sérendipité !

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.