«Les sens du beau», c’était le thème choisi en 2015 par la Biennale du design de Saint-Etienne, point de départ de réflexions sur la beauté, l’importance des formes et leur signification. Alexis Botaya, cofondateur de Soon Soon Soon, a repéré sur place une sélection d’objets ou projets particulièrement innovants.

Propriétés animales

Naturalité, simplicité, reconnexion à soi et à la planète sont autant de préoccupations contemporaines incarnées dans les objets présentés par Ana Rajcevic dans la section «Vous avez dit bizarre ?» de la Biennale de Saint-Etienne. ­Formée dans les plus prestigieuses écoles de design de Londres, vivant à Berlin et déjà multirécompensée, l’artiste designer s’inspire des structures de squelettes d’animaux pour créer des pièces sculpturales constituant des masques ou des coiffes. Dans cette série, intitulée Animal : The Other Side of Evolution, les objets confèrent au corps humain des propriétés bestiales vous plongeant dans le ressenti animal. Comme des accessoires de théâtre.



Réparer plus que jeter

En matière d’upcycling et de seconde vie des objets, Maxime Lamarche frappe très fort. Ce jeune designer français présentait dans la section «Tu nais, tuning, tu meurs» son Soft Serve Boat, un hors-bord-sculpture inspiré des «luxueuses et insolites constructions navales de riches propriétaires» comme il l’affirme sur le site consacré à l’objet. Sa particularité ? être bâti sur la carrosserie d’une Ford Taunus de 1976. Acier, bois, sangles, peinture époxy, ses matériaux évoquent les «repair cafe» qui fleurissent aujourd’hui avec la promesse de réparer les objets plutôt que de les jeter. Ou comment transformer ce qui était autrefois un «déchet» en une ressource. Une façon de se projeter dans l’avenir ?

 

Miroir, ­­mon beau miroir

A l’heure du selfie roi, le ­collectif d’artistes coréens ­Shinseungback Kimyonghun prend le contre-pied de cette tendance en exposant dans la section « ATTENTION» un miroir qui se détourne dès qu’il ­identifie votre visage. Ce ­Nonfacial ­Mirror interroge bien sûr le sens du beau et le narcissisme ambiant. Mais il questionne ­également le rapport entre l’homme et la machine : dans une société ­numérique où nous confions de plus en plus ­d’informations à des algorithmes, ­l’être humain n’est-il pas victime des technologies qu’il a lui-même engendrées ?

 

Exhalateur à insectes

Biotech rudimentaire et symbiotique, la cloche Bee’s, conçue par la designeuse portugaise Susana Soares, est un « exhalateur à insectes » : on souffle dedans et des abeilles détectent dans l’haleine d’éventuelles maladies. à force d’entraînement, les insectes seraient ainsi capables d’identifier la tuberculose, le diabète ou le cancer du poumon. élémentaire. On détecte ­d’ailleurs des cancers de la prostate en ­faisant renifler de l’urine à des chiens entraînés… Une valorisation des abeilles, menacées par les pesticides ; un objet ­fascinant ­présenté dans la section « Hypervital » ; et un intérêt pour le genre animal qui correspond à une préoccupation montante.

 

Le mouvement incarné

Le digital et le big data ont créé des univers ­abstraits et nébuleux que d’aucuns s’empressent de rematérialiser pour tenter de redonner chair et consistance à ce qui est devenu intangible. Les grands opérateurs de données sont les premiers à ­travailler sur ces sujets. Ainsi, l’équipe Advanced design du technocentre d’Orange a présenté, dans la section «Form Follows Information», Objet data, l’empreinte de mouvement. L’œuvre rematérialise les déplacements à partir des données de géolocalisation, en révélant sur une carte le temps passé à chaque endroit. Une expérience visuelle envoûtante où la géographie personnelle de l’usager apparaît sous la forme de petits monticules, comme des traces laissées par les utilisateurs dans l’espace et le temps.

 

Bionique et sexy

Présenté dans la section «Hypervital» de la Biennale, Generative Orthoses est un dispositif médical innovant conçu par le studio de design MHOX. Il s’agit de la première orthèse « sexy », l’orthèse étant un appareillage venant compenser une fonction articulaire déficitaire. Cette structure nouvelle s’intègre parfaitement au corps humain. Elle ne se contente pas d’améliorer ou de compenser ses fonctionnalités déficientes mais lui apporte réellement une valeur supplémentaire d’ordre esthétique. L’objet témoigne de l’importance croissante prise par le transhumanisme. Un mouvement pour lequel les technologies jadis employées pour pallier une maladie ou un trouble de fonctionnement biologique peuvent être utilisées pour dépasser les fonctionnalités de base du corps humain. Et permettre à des individus «sains» de se transformer en individus bioniques…

 

Toujours heureux

My Knitted Boyfriend est un nouveau type d’homme. Un homme ­toujours heureux. Entièrement conçu en tricot traditionnel, ce mannequin à cajoler est né des mains de la designeuse néerlandaise Noortje de Keijzer. La symbolique est la suivante : comment envisager les liens – matérialisés par les mailles du tricot – dans une société qui nourrit les illusions de relations sentimentales idéalisées et réclame sans cesse des performances croissantes ? Présenté dans la section «Vous avez dit bizarre ?», ce coussin-sculpture moelleux, accessoirisé de moustaches confectionnées au crochet et 100% pure laine, est toujours là pour participer passivement à une conversation. Dans un monde qui questionne la place de l’humain face au digital (URL) et qui rêve de «hugs», cette peluche a de quoi secouer l’IRL, «In Real Life».

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